Dans une lettre ouverte, le groupement de cinémas privés et indépendants, quatrième réseau français, met en garde sur la situation délicate des salles provoquée par la crise sanitaire et interpelle le président du CNC.
« Dans cette crise sanitaire, la plus grave traversée par la France depuis un siècle, nous pensons aux victimes dont le nombre augmente chaque jour et à leurs familles et nous restons profondément solidaires de la Nation et de l’ensemble de la filière.
Forts et enthousiastes d’une année 2019 qui avait vu sa fréquentation progresser, nous étions confiants, presque sereins. Les spectateurs aimaient la salle de cinéma, les films annoncés étaient divers et prometteurs.
C’était Avant.
Avant le 15 mars à 0h, où tout s’est arrêté.
Plus d’images dans le faisceau vibrant des projecteurs, les sièges vides, les couloirs sombres, les halls désertés. Nos spectateurs sont rentrés se protéger chez eux, leur absence résonne et la vie a quitté nos écrans. Un vide vertigineux lui a succédé.
Dans les villes moyennes et petites villes du territoire, nos salles de cinéma sont les seuls lieux ouverts 365 jours par an. Souvent, des quartiers commerçants se sont développés tout autour car les salles animent, les salles attirent et leurs enseignes brillent, pareilles à des phares dans la nuit.
C’est ainsi qu’un exploitant conçoit et vit sa salle, ouverte du matin jusque tard le soir, un repère, un dernier lieu, où l’on peut venir en groupe, à deux où seul. Une arche dans laquelle se côtoient les gens, les films, les envies et les curiosités. Sans distinctions, sans complexes, un îlot de culture humble et joyeuse, d’expériences collectives et de partage des émotions. Il y a encore quelques mois, nous n’aurions pu imaginer nos cinémas fermés, interdits au public. Or c’est pourtant le cas aujourd’hui sans que nous sachions combien de temps va durer ce cauchemar….
Nous sommes traditionnellement plutôt silencieux, à la tâche, sur le terrain, mais l’urgence de la situation dans nos établissements de villes moyennes et petites villes nous presse et nous avons à faire face à une accumulation de problèmes :
- Gérer nos trésoreries et tenir la capacité financière pour au moins payer les salaires, en attendant un versement de l’État, puis les distributeurs, partenaires historiques, et dans 6 mois nos prêts bancaires, les charges en retard et autres dettes reportées.
- Encaisser le choc de la crise sanitaire alors que beaucoup d’entre nous ont investi de manière récente et conséquente.
- Maintenir en état nos établissements dont les matériels, très couteux ne sont pas conçus pour être à l’arrêt. Quelles conséquences d’une interruption de fonctionnement de plusieurs semaines même si nous nous appliquons à faire fonctionner les projecteurs, les climatisations, les caisses, les éclairages conformément aux préconisations des installateurs?
- Rassurer nos 800 collaborateurs qui oscillent entre inquiétude sanitaire et inquiétude salariale,
- Prévoir la programmation pour la réouverture avec un calendrier de sorties de films incomplet et incertain. Quid des sorties de films américains et du décalage avec les USA qui seront en pleine crise de COVID pendant probablement plusieurs mois ?
- Continuer à mobiliser l’intérêt des spectateurs pour les films dans les salles de cinéma, au milieu des annonces des chaines payantes, des plateformes et de la VOD anticipée.
- Inventer un modèle de fonctionnement à la réouverture, car la fin du confinement n’engendrera pas pour autant un retour instantané et massif du public.
- Rester en bonne santé, ainsi que nos familles. Nous nous sentons responsables de nos équipes, de nos fournisseurs, de nos clients. Cette pression aussi, nous la subissons.
- Rester dans l’interrogation quant à nos propres salaires d’exploitants, car à jour, aucune décision ne nous rend éligibles au chômage partiel du fait de nos statuts de gérant « TNS », travailleurs non- salariés.
Suite à la mesure logique et immédiate de suspension des prélèvements de la TSA par le CNC, suite aux mesures gouvernementales, aucune décision forte de soutien aux salles n’a encore été prise par notre organisme de tutelle. C’est pourquoi, nous demandons urgemment au président du CNC, Monsieur Dominique Boutonnat, à titre dérogatoire et pour aider nos trésoreries en péril, un nouveau mode de calcul du SFEIC pour les droits depuis le 01/01/2019, avec un coefficient de majoration bonifié, à déterminer, pour, selon les cas :
- Générer des droits acquis récupérables immédiatement et de manière simplifiée
- Solliciter une nouvelle avance pour les établissements ayant déjà amorti l’avance précédente
- Recalculer l’avance pour les établissements en cours d’amortissement et leur permettre d’obtenir, par anticipation, le versement du delta, car la période de fermeture ne générant plus de droits, les possibilités d’avances, dans leurs modalités actuelles, s’en trouveront repoussées.
Cette crise aura des conséquences économiques dévastatrices si les spécificités de certaines exploitations ne sont pas prises en compte, notamment la fragilité réelle de tout un pan de salles.
Certains d’entre nous trouveront les moyens de tenir quand d’autres ne le pourront pas.
Le 31 mars 2020, Le Groupement CINEO, Association et Syndicat »
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