Aux Rencontres de l’Arp, les cinéastes prônent « l’indépendance et la diversité culturelle »

Jeanne Herry, co-présidente de l'Arp ©Susy Lagrange

Organisées du 8 au 10 novembre au Touquet-Paris-Plage, les 33es Rencontres cinématographiques de l’Arp se sont achevées avec le traditionnel communiqué des cinéastes, reproduit in extenso.

« Merci ! Merci à vous tous, à l’ensemble de nos partenaires et à tous les intervenants d’avoir œuvré à la richesse de nos débats.

Notre époque aime bien la binarité. Les clivages. L’injonction à choisir un camp, un clan…

Et il se joue dans notre secteur ce qu’il se joue partout ailleurs. Une propension à opposer ou plutôt une difficulté à ne pas opposer.

On oppose régulation et innovation, souveraineté et attractivité, politique industrielle et politique culturelle, ou encore cinéma de recherche et films populaires…

L’orientation de politique culturelle choisie par les Cinéastes de L’ARP est une ligne de crête, celle de la conciliation et de l’équilibre. L’équilibre qui tente de saisir, pour chaque sujet, la complexité des enjeux. L’équilibre qui fait toujours la force et la réussite de notre modèle aujourd’hui.

Est-ce un non-choix ou l’expression d’un conformisme faible ?

Ce n’est pas notre sentiment… Nous pensons au contraire que ça appelle à un engagement solide, de chacun de nous professionnels, mais aussi des pouvoirs publics.

Réussir dans cet exercice d’équilibriste sans régulation paraît en effet impossible, ou tout au moins assez périlleux. Et notre responsabilité collective, vis-à-vis des générations futures de talents et de spectateurs, nous oblige à refuser un tel risque.

Si nous avons conscience de la compétition internationale autour de l’intelligence artificielle, elle ne peut se faire sans tenir compte du respect du créateur et de son point de vue particulier, singulier, donc du Droit d’auteur et de ses principes intangibles. Nous accueillons avec curiosité et espoir tout outil conçu pour nous aider à accompagner la création, mais n’accepterons pas que le Règlement sur l’intelligence artificielle, en cours de discussion à Bruxelles, s’assoit sur les règles fondatrices qui protègent nos imaginaires français et européens, au seul prétexte d’une course effrénée à l’innovation. La transparence, le consentement des créateurs et la juste rémunération des œuvres utilisées pour entraîner les IA sont les principes majeurs de toute régulation future. L’intelligence artificielle peut être un outil formidable s’il sert la création, mais pas s’il la pille.  

Nous comptons ardemment sur l’Europe, sa Commission, son Parlement et ses États-membres, et en particulier la France, pour en être les garants.

Dans ce combat, nous nous félicitons d’une étroite collaboration avec nos collègues américains, scénaristes, réalisateurs et acteurs, qui remettent la place de l’auteur au centre de leur réflexion, et les félicitons pour les accords signés qui nous inspirent.

Pour paraphraser le Commissaire Thierry Breton : « Nous sommes ouverts, mais à nos conditions. » Et nos conditions, ce sont les valeurs fondatrices de l’Europe : l’indépendance et la diversité culturelle. Or, certains parlementaires européens, dont plusieurs appartenant à la majorité présidentielle française, semblent l’avoir oublié lors de récents votes sur le géoblocage, mettant en danger la culture au nom de la fluidité d’un « marché intérieur des médias » poussé par la Commission européenne.

Il nous importe que vous nous entendiez, chers parlementaires, en cette veille d’élections européennes : c’est un combat aux enjeux immenses d’ordre culturel et économique, essentiels à l’avenir de l’Europe. Aux enjeux existentiels.

Ce combat est loin d’être rétrograde. En défendant la diversité culturelle et en protégeant sa vitalité, son financement pérenne, l’Europe a en effet l’opportunité de faire preuve de sa modernité et d’exprimer sa pleine souveraineté.

Il faut maintenant des actes, et des votes. Nous y veillerons. C’est notre responsabilité collective.

Notre souveraineté passe aussi par notre autonomie à créer et fabriquer des œuvres de cinéma. Celle-ci dépend de plusieurs facteurs.

Tout d’abord notre indépendance dans la création doit être garantie.

Puis, nous devons disposer, sur nos territoires, d’un tissu dense de sociétés de production, ainsi que de talents et d’équipements suffisamment nombreux et performants. Il nous faut donc aussi être attractifs pour des investissements.

À condition bien sûr, et c’est indispensable, que ces investissements ne viennent pas justement fragiliser notre autonomie, en faisant, par exemple, basculer en-dehors de l’Europe, la majorité capitalistique de nos sociétés de production. Il appartient à la puissance publique d’enrayer ce risque avéré de fuite de nos actifs.

À travers son programme Media, l’Europe l’a déjà compris. S’il faut favoriser la création et la fabrication d’œuvres sur nos territoires, notamment pour les emplois qu’elles engendrent, il faut aussi s’assurer de conserver notre propriété intellectuelle. Et celle-ci est au cœur de la compétition internationale qui se joue aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’interdire les investissements, et, en particulier, les investissements extra-européens, mais bien d’encadrer l’accès à nos aides CNC à la production.

Les actifs culturels stratégiques européens sont un trésor. Et il faut qu’il reste nôtre !

Nous avons suffisamment confiance en la puissance de notre cinéma. Sa formidable capacité de résilience démontrée ces derniers mois a achevé de nous en convaincre. Rappelons notre 3e rang mondial, et donc la réussite de notre modèle, qui parie sur la complémentarité des œuvres et des publics.

Prix glanés dans les festivals les plus prestigieux au monde, fréquentation des salles, part de marché de notre production nationale, ou encore retour des plus jeunes au cinéma, de nombreux indicateurs semblent au vert. Pourtant, certains signes convoquent notre plus grande attention pour continuer de respecter la promesse qui nous lie aux spectateurs.

La bipolarisation de la production nous interpelle et nous inquiète. Elle interroge la rémunération et l’accompagnement du risque porté par chacun, de l’auteur au distributeur, et pour l’ensemble des typologies de films, dont les films dits « du milieu » ou « populaires d’auteurs ».

Pour accompagner la création, il faut aussi la mise en œuvre nécessaire et rapide de réajustements, notamment des aides du CNC, qui visent à une production plus équilibrée.

Cette polarisation montre qu’il faut aussi veiller à l’exposition de nos œuvres dans les salles. À ce titre, les discussions autour des engagements de programmation et de la réforme de l’art et essai tenteront d’y remédier.  

Les dispositifs de médiation doivent enfin se multiplier. Une politique ambitieuse d’éducation à l’image doit être portée de concert par le monde de la culture et le monde de l’éducation. Nous nous félicitons à ce titre du plan annoncé par le député Quentin Bataillon autour des ciné-clubs dans les collèges et lycées.

L’avenir de notre création passe par son financement, par son exposition auprès de tous les publics, et donc par la force de notre partenariat avec les diffuseurs. Les usages des spectateurs, et les modèles économiques sont en mutation profonde et rapide. Les mo des de diffusion aussi. Face à cette accélération, nous ne devons brader ni la valorisation de nos œuvres, ni leur exposition sur les services. Le délinéaire ne pourra en effet justifier une moindre exigence culturelle.

En tous les cas, nous y veillerons, aux côtés des diffuseurs.

Par une transposition ambitieuse, nous avons réussi à intégrer les plateformes à notre système. Il s’agit désormais de tirer un premier bilan, d’identifier les failles, et, enfin, de mettre en œuvre des règles qui empêchent tout déséquilibre injuste pour le cinéma.

Là encore, il faut que l’Europe fasse preuve de toute sa détermination, pour imposer une réelle transparence des données et pour permettre aux Etats-membres d’assoir les contributions à la création sur une base solide, équitable entre les différents acteurs.

Beaucoup reste donc à faire ! Pour l’avenir de la diversité de notre création et de sa diffusion, nous tous, professionnels et pouvoirs publics, devons encore travailler, en gardant en tête, non pas la protection d’intérêts particuliers, mais bien plutôt l’équilibre de notre écosystème au service d’une offre cinématographique toujours plus riche de sa diversité.

Nous, Cinéastes de L’ARP, nous y engageons. »

                                                                                     Les Cinéastes de L’ARP

Jeanne Herry, co-présidente de l'Arp ©Susy Lagrange

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