Warner, l’histoire centenaire d’un studio révolutionnaire [1/3]

© Montage Boxoffice Pro

C’est une histoire digne d’Hollywood et de ses plus grands classiques. Un scénario jalonné d’échecs et de succès, marqué par des coups de génie, des fusions et une immense trahison. Cette histoire, c’est celle d’un des plus grands studios de cinéma de tous les temps, fondé en avril 1923 : Warner Bros. Première partie : les débuts et l’avènement du parlant.

Se plonger dans la chronologie de cette entreprise mythique implique de remonter aux racines de la famille qui lui a donné son nom : les Warner (Wonskolaser de leur patronyme d’origine). Dans les années 1880, Benjamin Warner, son épouse et ses enfants quittent ce qui est l’actuelle Pologne pour émigrer aux États-Unis, dans la ville de Baltimore, dans le Maryland. C’est là que Harry, Albert et Sam accueillent la naissance de leur petit frère, Jack. La famille survit grâce à différents petits boulots et, au début des années 1900, Sam Warner, pas encore majeur mais déjà embauché comme projectionniste au White City Park, une salle de Chicago, découvre l’existence du Kinétoscope d’Edison. Persuadé du potentiel de la machine, il convainc sa famille d’investir dans un projecteur d’occasion, qui leur permet d’organiser, pendant quelques mois, des projections itinérantes dans plusieurs villes minières de l’Ohio et de Pennsylvanie, où ils acquièrent leur premier cinéma, le Cascade Theatre, dont la première séance a lieu en mai 1905. Les Warner se lancent ensuite dans la distribution de films, via la Duquesne Amusement & Supply Company, puis la production. 

Aux débuts des années 1910, la fratrie quitte la côte Est pour la Californie, où, pendant la Première Guerre mondiale, elle conçoit des films pour l’armée américaine. Le succès de leur première vraie production, My Four Years in Germany, et un crédit bancaire permettent aux frères Warner d’acheter un terrain pour construire le Warner West Coast Studio en 1918. Après s’être attelés à renforcer leur équipe et leur matériel de tournage, ils fondent officiellement leur société le 4 avril 1923 : la Warner Bros Pictures Inc. 

Harry, Jack, Sam et Albert Warner © Courtoisie de Warner Bros.

Les contours sont dessinés mais pour attirer un public nombreux, l’entreprise familiale a besoin d’un vrai déclic, d’un équivalent à Charlie Chaplin qui connaît alors la gloire. Loin du personnage de Charlot, la première vraie star du studio Warner sera… un chien. Rapatrié du front français, Rin-Tin-Tin devient immédiatement une vedette grâce à Where The North Begins (1923), qui marque les débuts d’une collaboration d’une vingtaine de films. Un cap est franchi l’année suivante, lorsque le studio engage la star de Broadway John Barrymore pour jouer dans Beau Brummel et signe le cinéaste allemand Ernst Lubitsch pour The Marriage Circle, sa première comédie américaine. En parallèle, la fratrie séduit des financiers, de quoi lui permettre de doubler la production (31 films estampillés Warner en 1925) et de racheter les studios Vitagraph à Brooklyn. 

Fin avril 1926, la société conclut un accord avec la Western Electric pour poursuivre le développement d’un système de sonorisation, le Vitaphone. Le dispositif – un 33 tours synchronisé avec la pellicule – est, dans un premier temps, pensé pour accompagner musicalement les films muets. Premier long métrage sonore – musiques et bruitages –, Don Juan, avec John Barrymore, fait sa première le 6 août 1926 au Warner Theatre de New York, acquis et sonorisé par la fratrie quelques mois auparavant. Mais le succès n’est pas au rendez-vous en raison du peu de salles équipées du système, qui reste une installation coûteuse et peine à confirmer son intérêt.

« Wait a minute. You ain’t heard nothin’ yet! »

Arrive alors Le Chanteur de jazz. Rôle principal, Al Jolson devient ainsi le premier acteur à prononcer des mots – qui plus est improvisés – dans un film en plus du chant. Le soir de la première, le 6 octobre 1927 au Warner Theatre, le drame d’Alan Crosland reçoit une véritable ovation et annonce l’aube d’une nouvelle ère à Hollywood. Une révolution au goût plus qu’amer pour Harry, Albert et Jack Warner en raison du décès, la veille, de Sam. Malgré le deuil, l’histoire est en marche et la fratrie continue à développer le son, produisant fin 1928 le premier film entièrement parlant : Les Lumières de New York de Bryan Foy. En parallèle, le studio rachète la Stanley Corporation of America, un réseau de 250 salles implantées dans sept États, puis, en 1929, devient propriétaire de la First National Pictures, déplaçant toute la partie production à Burbank. 86 films sont produits cette année-là par le studio, dont une quarantaine sous la bannière Warner Bros.-First National. Parmi ces titres, On With the Show d’Alan Crosland devient le premier  film chanté en couleurs et son succès, conjugué à celui de The Gold Diggers of Broadway de Roy Del Ruth, consacre aussi le passage du cinéma à la couleur. En l’espace de quelques années, Warner se positionne ainsi comme l’un des studios les plus proactifs d’Hollywood. Une dynamique exceptionnelle qui va subir un net contretemps lors du crash boursier d’octobre 1929.

Mais alors que la Grande Dépression frappe de plein fouet les États-Unis, les années 1930 vont permettre aux frères Warner de mettre en application le triptyque “Informer, divertir, instruire”. Pour informer, ils décident de prendre le contre-pied des fictions de Paramount et MGM, en adaptant des faits d’actualité. Sous l’impulsion de Darryl Zanuck, son producteur exécutif, auquel succède Hall B. Wallis, Warner Bros. décroche rapidement le surnom de “gangster studio” avec notamment les succès de L’Ennemi public (1931) et Little Caesar (1932), propulsant James Cagney et Edward G. Robinson au rang de star. Dans le même temps, l’entreprise développe des drames sociaux tels que Je suis un évadé de Mervyn LeRoy, qui va favoriser une réforme des prisons. Pour divertir, le studio s’intéresse à l’animation – en 1928, Disney a créé Mickey –, produisant, avec le concours de Leon Schlesinger et du duo Hugh Harman et Rudolf Ising, la série animée Looney Tunes, avec Bosko comme héros, puis celle des Merries Melodies avec Bugs Bunny, Porky Pig et autres Daffy Duck, popularisés par Tex Avery. En parallèle, Warner relance l’intérêt pour les comédies musicales avec l’énorme succès de 42e rue (1933) et investit dans des productions plus importantes, à l’instar de deux films de Michael Curtiz portés par la nouvelle star Errol Flynn, Captain Blood (1935) et surtout Les Aventures de Robin des bois, film le plus lucratif de 1938. Enfin, pour instruire, le studio se penche sur la vie et les accomplissements de grandes personnalités, via L’Histoire de Louis Pasteur (1936) puis La Vie d’Emile Zola (1937), qui offre à Warner son premier Oscar du meilleur film. Sans conteste la plus progressiste d’Hollywood – en se prononçant en faveur du New Deal de Roosevelt –, la major est alors la première  à produire un film ouvertement anti-hitlérien avec Les Aveux d’un espion nazi (1939), abordant de front la menace du régime allemand en Europe, quand le reste de l’industrie se montre plus hypocrite.

> Partie 2

Les Aveux d’un espion nazi de Anatole Litvak ©Warner Bros.
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