UNIC : Interview croisée de Laura Houlgatte et Guillaume Branders

INTERVIEW – La CEO et le responsable industrie et recherche de la structure internationale dressent un état des lieux du cinéma sur ce territoire “UNIC” au monde. Ils évoquent également leurs priorités dans leur mission de représentation de la filière auprès du nouveau Parlement européen.

>> D’après les chiffres de l’UNIC, le box-office européen s’élève à 8,1 milliards d’euros et 1,29 milliard d’entrées – soit une baisse respectivement de 5,6 % et 3,4 %  par rapport à l’année 2017.

Laura Houlgatte et Guillaume Branders.
©DR

Au-delà de ces chiffres globaux, quelles différences notez-vous entre les territoires de l’UNIC ?
Guillaume Branders : Malgré cette baisse, il s’agit de la 4e année consécutive où l’on dépasse 1,25 milliard d’entrées en Europe. En prenant un peu de recul, on observe une croissance régulière pour la région, sous l’impulsion entre autres de pays d’Europe centrale et orientale, y compris en 2018. L’exemple notable du Royaume-Uni qui a connu une année historique est également à prendre en compte. 2018 a été une année difficile pour nos collègues germanophones et certains pays méditerranéens, comme l’Italie et le Portugal. Certaines baisses doivent aussi être mises en perspective, comme en France, en Russie ou en Roumanie, où les bons résultats de 2018 suivent une année 2017 record.

Devant l’hétérogénéité des marchés et des conjonctures, doit-on craindre un recul structurel de la fréquentation des salles dans les années à venir ?
Laura Houlgatte : Non. Au vu des 20 dernières années, l’industrie du cinéma en Europe – et dans le monde – est en croissance. Et on voit bien qu’il y a encore des opportunités de croissance dans de nombreux pays européens lorsqu’on observe de plus près les chiffres de visites annuelles et de densité d’écrans par habitant. Les exploitants européens continuent d’innover et répondent aux attentes de leur public grâce à un usage démocratisé des outils d’analyse de données et davantage d’interactions avant et après la visite. Notre secteur est en constante réinvention et continue de donner tort à ses détracteurs.

« L’existence d’un cinéma européen solide dépend du soutien des politiques publiques pour préserver les fondations de notre secteur : la territorialité du droit d’auteur, l’exclusivité ou la lutte contre la piraterie. »

Laura Houlgatte, CEO de l’UNIC

Après être passée devant la France en 2017, la Russie est deuxième du podium européen en 2018. Poursuivra-t-elle son ascension ou a-t-elle atteint un point d’équilibre ?
G.B. : La Russie s’affirme aujourd’hui comme un leader du cinéma en Europe, au même rang que la France et le Royaume-Uni. On continue d’observer des investissements importants dans le pays, avec de nouvelles salles en construction. Les productions russes fonctionnent, avec deux films locaux dans le top 5 de 2018. Avec une moyenne de 1,4 visite par an par habitant, on peut envisager une croissance stable pour les années à venir, mais c’est évidemment difficile à prédire avec certitude.

Bien qu’encore marquée par une prédominance des blockbusters hollywoodiens, 2018 est aussi celle de la progression de la part de marché des films européens : 29,4 %, son deuxième plus haut niveau le des cinq dernières années. Quel a été l’impact du programme Creative Europe MEDIA sur ces bons résultats ?
L.H. : 2018 a en effet été une belle année pour les productions européennes. En Pologne par exemple, Kler a rassemblé 5 millions de visiteurs. Le programme MEDIA est un soutien précieux pour le secteur de l’audiovisuel, mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des fonds de création locaux. De plus, au-delà de cette politique de financement très spécifique, l’existence d’un cinéma européen solide dépend du soutien des politiques publiques pour préserver les fondations de notre secteur, telles que la territorialité du droit d’auteur, l’exclusivité ou la lutte contre la piraterie. Il est aussi important de rappeler que la diversité des œuvres – qu’elles soient européennes, américaines ou d’ailleurs – est essentielle au succès des salles.

« La mission principale de l’UNIC est de porter la voix des exploitants européens et une grande partie de nos efforts se concentre donc sur les spécificités locales et européennes du marché. »

Guillaume Branders, responsable industrie et recherche de l’UNIC

L’année 2018 a connu des avancées majeures dans les révisions législatives ou réglementaires, comme la nouvelle directive SMA au niveau européen ou la nouvelle chronologie des médias en France. Quels sont les sujets que l’UNIC portera en priorité devant le nouveau Parlement européen ?
L.H. : L’arrivée du nouveau Parlement mais aussi d’une nouvelle Commission nous place dans une démarche d’abord éducative. En ce début de mandat, nous devrons présenter notre secteur dans toute sa richesse et sa diversité, et bien entendu mettre en exergue les principes fondamentaux sur lesquels il repose. Nous ne connaissons pas encore les nouvelles priorités politiques, mais des thèmes transcendent les différents mandats, comme la lutte contre la piraterie, la territorialité du droit d’auteur, l’exclusivité ou encore la responsabilité des plateformes. Sans oublier les problématiques locales, en coopération étroite avec nos associations nationales.

Les acquisitions nord-américaines de deux membres de l’UNIC (Kinepolis au Canada et Cineworld aux États-Unis) a-t-elle un impact sur vos perspectives, souvent identifiées comme européennes ?
G.B. : L’industrie du cinéma est de plus en plus mondialisée et de nombreux défis sont partagés par toutes les salles. Ce constat nous a conduits à collaborer à la création de la Global Cinema Federation (GCF) avec nos collègues de NATO afin d’unir nos forces sur des sujets d’intérêt commun. Les échanges avec nos collègues internationaux nourrissent notre travail et nos réflexions ; mais la mission principale de l’UNIC est de porter la voix des exploitants européens et une grande partie de nos efforts se concentre donc sur les spécificités locales et européennes du marché. Nous sommes fiers de représenter une telle diversité de territoires !

Pouvez-vous nous donner des nouvelles de cette Fédération mondiale du cinéma ?
L.H. : Nous travaillons toujours activement pour recruter de nouveaux membres. Nous avons, au sein de la GCF, rencontré les studios et la Directors’ Guild of America juste avant CinemaCon pour discuter de sujets d’intérêt commun. Nous rassemblons également des données sur un grand nombre de sujets tels que la piraterie, l’exclusivité, l’accessibilité, etc. Nous travaillons aussi sur les droits musicaux, en comparant les différentes pratiques à travers le monde pour mieux comprendre le fonctionnement et les méthodes des sociétés de gestion collective. Finalement, nous avons fait de la lutte contre la piraterie une de nos priorités et œuvrons avec nos partenaires distributeurs et les gouvernements locaux pour améliorer l’encadrement légal et le partage de bonnes pratiques.

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