Sommet des Arcs 2024 – Dialoguer et anticiper

L'ensemble des participants du Café des Indés © NICOL Claire

Lors de sa nouvelle édition, le rendez-vous hivernal des distributeurs et exploitants indépendants a cherché à mettre des mots sur des sujets encore peu évoqués dans la filière, tout en continuant à explorer les usages de la data par ou pour les indépendants.

Un café à la santé de la santé…

Les liens qui agitent la filière, entre acteurs de différents secteurs ou employés d’une même structure, étaient au centre du Café des indés 2024. L’atelier de l’Acid, intitulé “Préservons la santé mentale des indépendants !”, a été l’occasion d’aborder un sujet encore tabou au sein de la distribution ou de l’exploitation indépendante. La déléguée générale de l’Association, Pauline Ginot, a notamment sondé les participants sur leur éventuelle connaissance du Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), dossier obligatoire pour toute entreprise dès l’embauche du premier salarié, et dans lequel l’employeur recense et évalue les risques présents dans la structure. La large prépondérance des réponses négatives a ainsi confirmé que la santé mentale demeure un sujet encore peu abordé, mais auquel chacun est confronté – « nous sommes au même stade sur la santé mentale que sur les VHSS il y a dix ans », a avancé Pauline Ginot. Une exploitante a mentionné que la « surcharge » de films depuis la pandémie représentait un fort risque de burnout, car « nous souhaitons accompagner chaque œuvre que nous sortons, mais ne sommes pas plus nombreux et n’avons pas plus de financements ». Résultat, les professionnels accumulent les heures, voire les journées, supplémentaires, qui ne sont pas rattrapées. À l’inverse, des périodes trop calmes peuvent être tout autant néfastes : « Quand plusieurs semaines s’enchaînent sans que nous ne sortions aucun film, on a l’impression de n’avoir rien fait de sa journée, ce qui est très dévalorisant », relate une distributrice. Parmi les propositions qui ont émergé de l’atelier, parmi lesquelles celle de la mise en place, par le CNC, d’une formation sur la santé mentale auprès des employeurs, ou encore la création d’espaces de parole.

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… et du dialogue

Un autre atelier, piloté par le Scare, a identifié les outils pour instaurer un environnement de confiance, paritaire et motivant sur le lieu de travail. Une initiative qui part notamment du constat qu’il y a « une faible circulation de l’information sur le bien-être de l’employé dans la profession », selon Romane Périssé, chargée de mission du Syndicat. D’où l’idée de mettre à disposition une banque d’information sur la gestion des ressources humaines, et de renforcer le travail de médiation auprès des organismes de formations initiales pour mieux promouvoir et faire connaître les métiers du cinéma et les rendre plus attractifs. L’atelier du SDI s’est concentré sur les relations entre équipes de films, producteurs et distributeurs, en raison de problématiques rencontrées lors des tournées, notamment liées à certains comportements déplacés. Il apparaît que ces soucis viennent d’une incompréhension entre les différentes parties, à laquelle pourraient remédier des groupes de travail, avec l’objectif d’y intégrer progressivement les autres acteurs de la filière. Par exemple, l’appellation “talents”, pour désigner les équipes de films, ainsi que la méconnaissance de ces dernières des autres métiers du cinéma, sont tout autant de facteurs qui peuvent expliquer que les relations humaines soient parfois plus éprouvantes que prévues lors des tournées : « L’idée est de faire comprendre aux équipes que le distributeur n’est pas juste une agence de voyage qui va payer des dîners, et que l’exploitant n’est pas uniquement la personne qui reçoit et projette le film », a ainsi expliqué Étienne Ollagnier, cogérant de Jour2fête et coprésident du SDI.

Parmi les autres ateliers, en prolongement de l’Apéro des indés aux Rencontres du SDI en juin dernier, le Dire s’est interrogé sur les manières de réduire l’impact environnemental de la diffusion des films. Célia Couturier, cheffe de projets digitaux chez Sonis, et Mikaël Muller-Knisy, directeur exécutif de Dulac Distribution, ont ainsi mis en avant, comme nous l’évoquions dans le Boxoffice Pro du 23 septembre 2024, la possibilité de réduire le stock d’affiches, ou de les fabriquer en papier recyclé. L’atelier du GNCR, qui explorait les nouvelles voies de promotion des films Recherche & Découverte, également en prolongement des Rencontres du SDI, a notamment invité à penser un autre modèle que celui de la sortie nationale. Enfin, l’atelier de l’Afcae, en collaboration avec le Collectif 50/50 et le Lab Femmes de Cinéma, a tenté de déterminer le rôle des producteurs et des distributeurs qui doivent accompagner des films dits “abîmés”. Une discussion en écho à la programmation au Sommet de Je le jure (Ad Vitam, 26 mars), au cours du tournage duquel le réalisateur, Samuel Theis, a été accusé d’agression sexuelle. La projection a été précédée d’une prise de parole de la production et de la distribution, où il a été annoncé que des éléments de contextualisation (faits signalés, état des lieux de la procédure judiciaire…) seront communiqués pendant la promotion du film. L’atelier a proposé d’organiser des avant-séances avec une prise de parole, ou un QR code renvoyant vers une page de contextualisation de l’œuvre.

Le traditionnel biathlon du Sommet © NICOL Claire

Des succès qui en appellent d’autres

À la table ronde “L’Effet boule de neige : quand chaque succès renforce le suivant”, Sylvain Bethenod, PDG de Vertigo Research, a expliqué avoir rencontré Studiocanal début 2023 pour réaliser une étude sur le potentiel attractif de L’Amour ouf. La présentation du projet à plusieurs spectateurs a ainsi révélé des résultats inférieurs aux attentes du distributeur, avec un public jeune moyennement intéressé. « Le test n’a pas vraiment été rassurant pour le distributeur, mais lui a permis d’avoir les éléments pour travailler au mieux la sortie du film, plus d’un an après », explique Sylvain Bethenod. Le long métrage de Gilles Lellouche montre qu’un travail de marketing peut commencer dès l’état embryonnaire d’un film, bien que la démarche ne soit pour l’instant réservée aux œuvres « dont le budget est important ».

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Ensuite, au moment du lancement de la campagne, l’analyse des visites de la fiche du film sur AlloCiné est un bon indicateur pour évaluer les opérations marketing, comme l’a expliqué Christophe Brangé, Head of Targett chez Webedia. « Grâce à notre outil Atlas, à disposition des distributeurs, nous pouvons examiner la courbe de visites, et la comparer avec les films pertinents. S’il y a une apparition au JT, ou que la campagne d’affichage est lancée, mais que l’on n’observe aucun boost de visites, alors ce n’est pas bon signe. » De son côté, Thierry Delpit, président de Cine Society, a présenté l’un des outils que propose la structure, permettant aux exploitants de poster sur les réseaux sociaux des éléments promotionnels d’un film en intégrant un lien d’achat. « L’avantage, c’est que les communautés d’abonnés aux salles de cinéma sont très engagées, et réagissent massivement à ces posts en taguant leurs amis. » Ainsi, dans le cas d’Un p’tit truc en plus, l’ensemble des posts réalisés par les cinémas ont engendré 14 millions de vues – ou, précisément, des “impressions” –, un record pour Cine Society. Se rendant compte que Miséricorde d’Alain Guiraudie souffrait, peu avant sa sortie, d’un problème d’identification en province, LuckyTime a de son côté « ré-orienté [sa]campagne, et le film a fini par décoller », ont de leur côté relaté Adrien Thollon et Charlotte Boisson, les co-fondateurs de l’agence de communication spécialisée dans le marketing digital.

De multiples exemples qui montrent l’importance de la data pour prévoir un succès, ou mieux aiguiller sa communication, que cela concerne les distributeurs ou les exploitants : « Tout ce travail de données ne concerne pas uniquement les gros circuits : il peut être réalisé à l’échelle de chaque salle, avance Thierry Delpit. C’est la diversité du public qui crée le volume d’entrées d’un film, et qu’il faut donc aller le chercher en étant dynamique. »

L’équipe du projet Moviematon, Prix du jury de la troisième édition de Futura Cinema © NICOL Claire

La dernière d’Anne Pouliquen
Cette édition du Sommet des Arcs était la dernière où Anne Pouliquen exerçait en tant que responsable, remplacée par Quentin Stallivieri. Elle s’occupera désormais à plein temps de Futura Cinema, qui a obtenu un soutien d’Europe Creative, ainsi que du CNC. La quatrième promotion, sur le principe de l’incubation itinérante, sera ainsi ouverte aux projets européens, et se déplacera à travers les festivals du continent.

[Article initialement paru dans le Boxoffice Pro du 08 janvier 2024]

L'ensemble des participants du Café des Indés © NICOL Claire

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