Quelle médiation pour la réouverture des salles ?

Pour sa nouvelle Live Session, Boxoffice Pro a réuni Laurence Franceschini, Médiatrice du cinéma, Éric Busidan, délégué général de l’ADRC, Marie-Christine Desandré, présidente de Cinéo et exploitante de Loft Cinémas et Martin Bidou, représentant du DIRE et directeur des ventes de Haut et Court pour discuter des enjeux de la réouverture des salles, devant plus de 500 participants.

En préambule de la Live Session, Éric Busidan a détaillé les conclusions des questionnaires de l’ADRC adressés aux distributeurs et aux exploitants, qui ont permis de lancer des pistes de travail sur la reprise de l’exploitation en salles. Si l’on peut déplorer la faiblesse de la participation de la grande exploitation, pour Marie-Christine Desandré, cette consultation a été l’occasion de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas toujours, à savoir la petite et la moyenne exploitation, qui ont ainsi pu partager leurs inquiétudes et leur vision sur la crise. L’envie de rouvrir se fait de plus en plus pressante, mais la profession reste consciente qu’il s’agira d’une étape difficile pour laquelle trois questions se dégagent : « Quand, comment et avec quoi/qui ? » La plus grande inconnue reste les conditions économiques et cinématographiques de la réouverture. « La régulation des films sera incontournable pour gérer la pénurie puis la surabondance à venir. » La présidente de Cinéo rappelle par ailleurs que beaucoup de sujets ne dépendront pas du secteur, comme la question des mesures de protection sanitaire (gestes barrières, distanciation, désinfection) qui seront décidées par le gouvernement, mais pourront être optimisées par l’exploitation. « La première réunion du comité de concertation numérique, avec la Médiatrice et le CNC, nous permettra d’aborder sereinement ces questions, dans l’espoir que tout le monde admette que les choses changent et qu’il faudra faire avec. »

Une recommandation partagée et concertée

Précisant que les questions sanitaires n’entrent pas dans le champ de la médiation, Laurence Franceschini estime qu’elles seront toutefois à prendre en compte dans le cadre de la régulation. « On ne peut pas traiter de la même manière la question du plein programme si un cinéma réouvre avec un rang ou un fauteuil sur deux occupé. » Pour la Médiatrice du cinéma, il importe que la diversité des films et des salles soit réelle. « La future recommandation aura pour objet d’être partagée avec les professionnels et d’émettre un certain nombre de principes. Il faut approfondir l’idée d’un calendrier harmonisé limité dans le temps, dans le respect du droit à la concurrence. La question de la multiprogrammation, déjà pendante avant la crise sanitaire, trouve ici l’occasion d’une réflexion accélérée sur un certain nombre de refondations. Enfin, l’accès au film reste un enjeu majeur pour la diversité des salles et nous devons éviter l’écueil d’une homogénéisation de la programmation ; le public doit retrouver l’identité des salles. Nous devons faire confiance à la profession. » 

La reprise sera ardue

Pour Martin Bidou, les premières semaines s’annoncent difficiles : « Elles seront une phase de réapprentissage. Il nous faut rassurer le public et dédramatiser : aller au cinéma n’est pas plus dangereux que d’aller faire ses courses. Mais nous connaîtrons probablement une inertie lourde avant que le marché revienne à son plein potentiel. » Une inertie qui pourrait pénaliser les films à l’affiche avant le confinement et qui seront vraisemblablement reprogrammés : « Quelles seront les recettes pour ces films ? Il y a un risque que les entrées ne soient plus les mêmes. »  La seconde phase devrait se traduire par un « bousculement des films sur le calendrier ». Pour le moment, les distributeurs sont dans l’expectative et travaillent sur des dates incertaines et selon des scénarios de réouverture qui restent à confirmer. 

Emmanuel Baron, directeur de Véo programmation, est intervenu pour mettre en exergue les cinémas les plus petits et fragiles du maillage territorial, qui risquent la double peine de devoir attendre plusieurs semaines pour accéder aux films et de voir la surexposition de certains titres les mener à une programmation qui ne correspond ni à leur public, ni à leur recherche de diversité. « Au delà de la crise et de l’urgence, n’est-il pas le moment d’être créatif et de changer nos habitudes ? De ne plus parler en termes de copies mais de films ? Et de donner un accès plus large aux sorties nationales, sachant que le coût de l’écran supplémentaire aujourd’hui est quasi nul ? » 

Si pour Éric Busidan, un meilleur accès aux films pour les mono-écrans lors de la reprise pourrait en effet préfigurer la fin des VPF au 1er janvier 2021, pour Marie-Christine Desandré, « il ne faut pas confondre le fait de s’adapter et l’anticipation de l’après-VPF. Ces contributions ont eu un rôle de modération et régulation du marché qui est à repenser dans le respect de la concurrence et de chaque catégorie d’exploitation, avec un périmètre de protection pour les salles privées qui ont beaucoup investi et dont il ne faut pas amputer les zones de chalandise ». 

L’impossible consensus

Céline Demoulin constate que le consensus sera difficile et que les intérêts de chacun divergent. « Il ne faut pas tout mélanger : coût de sortie, VPF, afflux des films chaque mercredi… Nos plans de diffusion sont adaptés aux cinémas et à leur nombre d’écrans ; et si l’on donne les films porteurs à toutes les salles, il y aura moins de place pour ceux de la diversité ». La directrice des ventes d’Universal Pictures rappelle par ailleurs que la multiprogrammation est déjà pratiquée, tout en concédant qu’il va falloir « faciliter l’accès aux films pendant les premiers mois, en exigeant moins de séances et en établissant une politique commune entre les studios et les autres distributeurs pour que la reprise se fasse le plus vite possible. Pour Martin Bidou, qui se déclare « pessimiste sur le fait que l’on puisse s’entendre entre distributeurs », l’urgence est pour l’instant ailleurs : dans l’accès des salles aux films, mais aussi l’accès des films aux salles. Conscient que ces dernières « seront aux abois en matière de films porteurs », le directeur des ventes de Haut et Court et exploitant estime que le problème sera d’autant plus amplifié à Paris. 

« Pour le moment, nous sommes dans un cercle vicieux terrible : les salles attendent les sorties de films de la part distributeurs et les distributeurs attendent que les salles rouvrent. »

Marie-Christine Desandré

Inquiète pour sa part de la perspective de ne pouvoir proposer à la réouverture que des films arrêtés au moment de la fermeture des salles, « que le public ne suivra pas », Marie-Christine Desandré alerte sur le besoin, pendant cet été qui s’annonce difficile, de maintenir une fréquentation qui permette l’équilibre des comptes : « Il est hors de question de rouvrir à perte. Nous sommes aussi des entreprises qui devons assurer une gestion saine, sans forcément demander toujours plus d’aides publiques. Si l’on réussit à annuler nos charges sociales et nos loyers, nous pourrons repartir. Pour le moment, nous sommes dans un cercle vicieux terrible : les salles attendent les sorties de films de la part distributeurs et les distributeurs attendent que les salles rouvrent. » « À la reprise, qu’il y ait disette ou surabondance de films, si c’est l’anarchie, tout le monde y perdra », modère déjà Laurence Franceschini, qui appelle à une « multiprogrammation raisonnée » dont l’une des contreparties serait une plus longue exposition des films. « D’autant plus qu’avec l’arrêt des tournages, il faudra alimenter les écrans sur la durée. »

Fêter plutôt que brader

Enfin, à la question de savoir quelle forme pourrait prendre l’opération promotionnelle de retour dans les salles, Marie-Christine Desandré penche pour un événement festif plutôt que tarifaire. « Après la période de sécheresse, il faudra remettre en marche le système de financement du cinéma avec la TSA. Le public comprendra. » Même son de cloche chez Martin Bidou : « Nous allons avoir besoin de recettes et j’espère que les gens auront besoin de cinéma. » Pour sa part, l’ADRC accompagnera les salles lors de cette reprise qui s’annonce lente, « en se concentrant sur les cinémas hors champs concurrentiels, pour assurer un minimum d’exposition aux distributeurs ». Le tout, avec une extension de son intervention dès la première semaine d’exploitation des films. La recommandation spéciale de la Médiatrice, élaborée conjointement avec le CNC, doit faire l’objet « d’un large consensus », souligne Laurence Franceschini. Bientôt soumise au comité de concertation numérique qui rendra son avis, elle devrait être publiée « ni trop tôt trop tard, soit au début ou à la mi-juin. »

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