Premiers Plans Angers : Colloque européen, l’expérience de la salle

Vendredi 19 janvier était organisé, dans le cadre du festival Premiers Plans à Angers (Maine-et-Loire), un colloque européen consacré à l’expérience de la salle de cinéma. Deux sessions thématiques ont rythmé une journée riche en discussions animées et passionnées entre professionnels.

La journée s’ouvre par les mots de Patrick Modiano, errant dans un supermarché à la recherche des traces du cinéma de son enfance, le Pax, rue de Sèvres à Paris, dans l’extrait d’une interview filmée pour l’émission télévisée Cinéma Cinémas en 1990. “On se rappelle des salles de cinéma dans lesquelles on voit des films”, déclare le fondateur d’Europa Cinemas et délégué général du festival Claude-Éric Poiroux dans son discours inaugural. La nostalgie n’a toutefois pas le temps de s’installer que la parole est déjà donnée à des élèves et étudiants de la région, qui décrivent en vidéo leur rapport à la salle de cinéma. Jean-Michel Frodon, historien et critique de cinéma, tient dans son discours introductif à rappeler la valeur de la salle : “Le développement des écrans individuels et des séries ne remet pas en cause la salle, mais il n’y pas de politique de cinéma sans politique de la salle, de recherche et d’innovation. En France, malgré une situation complexe, notre modèle est extrêmement dynamique et porteur”. Avant d’enchérir : “Depuis sa création, on dit que le cinéma est mort et sans avenir ; c’est s’il ne changeait pas qu’il serait mort depuis longtemps. Mais il a su s’adapter, faire preuve de vitalité, transformer ses pratiques. Les films aujourd’hui restent conçus pour la salle.”

Rester dans l’air du temps

La matinée, animée par Marc Voinchet, directeur de France Musique, se déroule sur le thème de l’expérience de la salle de cinéma à l’ère du tout écran et du tout interactif. La première session laisse l’occasion au jury du festival de réfléchir à la question de la place du grand écran dans la création et la carrière d’un film. Pour la productrice Michèle Halberstadt, “il faut sanctuariser la salle de cinéma. C’est à nous, professionnels, de la préserver”. Tout est selon elle affaire d’éducation : “Il ne faut pas laisser les gens avoir la flemme !” Sans oublier le rôle du producteur, qui doit “résister à la pression de la télévision”, bien qu’elle tienne les cordons de la bourse. Le réalisateur algérien Karim Moussaoui (En attendant les hirondelles) évoque quant à lui l’importance de la chronologie des médias, qui permet aux films d’exister. “Les films ont besoin de ce temps, du festival à la sortie DVD, pour faire leur chemin. Les films existent parce que les gens en parlent, et la salle prépare l’après”.

C’est ensuite la salle de cinéma comme lieu d’une expérience collective qui est au cœur des débats avec un nouveau panel d’intervenants constitué principalement de directeurs de salles. Hugues Borgia, directeur général de l’UGC Ciné Cité, se dit frappé par la demande de salles qui reste forte, avec une “injonction à l’innovation. Le cinéma se nourrit d’un renouvellement de films, de lieux. Il y a maintenant un désir de proximité et une densification du parc de salles”. Renaud Laville, délégué général de l’AFCAE, laisse poindre une certaine inquiétude : “Nous avons la chance d’avoir un maillage et une vraie diversité des salles. L’équilibre était préservé grâce à des professionnels engagés, une volonté politique très forte au niveau de l’État et des collectivités. Aujourd’hui, le personnel politique a changé et les moyens économiques ne sont plus les mêmes”. Gianluca Farinelli, sémillant directeur du festival Cinema Ritrovato et de la Cineteca de Bologne, se veut moins alarmiste : “Les films et les salles changent continuellement, il faut se battre avec son temps. La magie de la communion des sentiments avec des inconnus est la même aujourd’hui, et c’est sur cela qu’il faut travailler”.

Nour-Eddine Saïl, ancien directeur général du Centre cinématographique marocain, rappelle la situation privilégiée de la France : “Au Maroc, pour 35 millions d’habitants, on compte 60 salles. Comment voulez-vous inculquer à des populations l’amour des écrans, sans écran ? La question de la programmation ne se pose que pour les riches ! Les pauvres n’ont aucun accès, sauf à l’écran de la télévision ou d’internet. Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui une chance pour faire revenir les spectateurs dans les salles”. Renaud Laville abonde dans son sens : “La salle de cinéma est un lieu social. Ce n’est pas que diffuser un film, mais accueillir des gens, organiser des débats. Il faut savoir s’emparer des nouveaux outils et des réseaux sociaux.” Gianluca Farinelli acquiesce : “On travaille beaucoup avec les réseaux sociaux parce qu’il y a des dizaines de publics différents, et nous devons maintenir le contact”. Tous se rejoignent sur un constat : leur travail a considérablement changé : “Pour maintenir l’exploitation des films d’auteur, nous devons communiquer sur les programmes, accompagner les films avec des événements, des débats, des collaborations avec des acteurs locaux”, déclare Renaud Laville. Pour Hugues Borgia, ces changements vont dans le bon sens : “On a reconquis un public”. Et Nour-Eddine Saïl de conclure : “La liberté du spectateur est primordiale dans son rapport aux films.”

Ouvrir les portes du temple

L’après-midi est consacrée au futur de la salle de cinéma, et dans un premier temps aux nouvelles offres et ligne éditoriale pour la salle de demain. Nico Simon, président d’Europa Cinemas et cofondateur d’Utopolis Cinemas Group, prévient : “Les salles Art et Essai risquent de disparaître avec leur public, vieillissant. Nous avons un rôle à jouer pour inciter les jeunes à venir dans les salles, surtout celles dont la programmation est plus exigeante. Il ne faut cependant pas sanctuariser la salle, parce qu’elle doit être capable d’évoluer rapidement. En France, le numérique serait arrivé plus tôt sans les “gardiens du temple”.” Les conditions de diffusion de l’œuvre sont également essentielles : “Il faut de la qualité, du confort, et respecter la création en projetant les films dans des conditions convenables.” Il rappelle également l’importance de la multiprogrammation, essentielle alors que le nombre de sorties augmente : “Garder un film qui ne marche pas longtemps, c’est du suicide pour un exploitant. Il faut garder certains films plus longtemps, mais avec moins de séances. Et les films doivent être bons !”.

Yannick Reix, directeur du Café des Images d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados) et président de l’ACOR (Association des Cinémas de l’Ouest pour la Recherche), se dit lui “gêné par le vocabulaire œcuménique, qui laisse penser que ce qui ne va pas en salle, ce n’est pas du cinéma. On peut construire sa cinéphilie par des VHS, ou Internet. Netflix va devenir un acteur encore plus important. En revanche, il y a moins de subventions et l’on doit diversifier les besoins de financement. C’est la multiplicité des activités qui permet de construire quelque chose”. Madeleine Probst, productrice de programmes au Watershed à Bristol (Royaume-Uni), approuve : “Il faut réimaginer l’espace, établir des partenariats et aussi sortir de la salle pour toucher une démographie différente. Le film sert à remettre en scène un lieu par rapport au public.” La question de l’aménagement du territoire est également fondamentale pour Yannick Reix ainsi que Nico Simon, qui proclame : “Ce que les politiciens attendent de nous, c’est que nous animions les centres-villes. Sauf que s’ils sont morts à 19h, le cinéma meurt aussi”.