Le Scare réaffirme la sélectivité de l’art et essai

Le bureau du Scare, à l'AG de 2022 © Tanguy Colon

L’assemblée générale 2023 du Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai se tient ce 16 mai à Cannes, pendant les Rencontres nationales de l’Afcae. Les co-présidents du Scare, Christine Beauchemin-Flot et Stéphane Libs, donnent un avant-goût des débats. Entretien

Comment s’annonce votre AG, qui retrouve cette année ses quartiers cannois ?

Christine Beauchemin-Flot : Après une parenthèse enchantée mais forcée à Deauville pendant le congrès de la FNCF, nous nous retrouvons à nouveau pendant le Festival de Cannes, un ancrage naturel qui nous permet en même temps de découvrir un maximum de films. Cette assemblée sera l’occasion de faire le point sur nos projets en cours autour de la data – notamment la collecte et la mutualisation des données des salles art et essai – et la fin de notre réunion sera ouverte à tous les adhérents de l’Afcae, pour partager nos avancées dans ce domaine. 

Stéphane Libs : Se retrouver pendant les Rencontres art et essai permet aussi de rassembler la majorité de nos adhérents –  alors que tous ne vont pas à Deauville. Autre lien avec le Festival, qui est nouveau : notre partenariat avec la Quinzaine des Cinéastes, initié cette année, pour la reprise de la sélection, début juin, dans une trentaine de salles.

Concernant le classement art et essai, le Scare souhaite mettre en avant les salles qui font le travail le plus exigeant. Que pensez-vous des préconisations du rapport Lasserre à ce sujet ?

CBF : Tout d’abord, nous saluons le travail de Bruno Lasserre et sa qualité d’écoute. Nous avons été auditionnés, à l’instar d’autres organisations, sur un sujet qui nous interpelle depuis longtemps et nous rejoignons la réponse apportée : être plus sélectif, c’est ce que nous défendons au Scare. Il y a en effet une grande disparité entre les salles art et essai au niveau du travail d’animation, de la diversité des films proposés, et surtout des risques encourus qui doivent être mieux récompensés. Ce n’est pas possible si l’enveloppe consacrée aux subventions reste fermée : avec un trop grand nombre de salles classées, l’écrêtement que l’on déplore depuis plusieurs années n’est plus tenable. Instaurer une pondération dans le décompte des séances selon les films nous semble une excellente idée. On ne peut pas considérer à la même hauteur des films ne représentant pas la même prise de risque, aussi bien pour les distributeurs que pour les exploitants. Nous sommes donc heureux que la question ait été remise sur la table, et attendons maintenant une évolution du classement.

SL : Depuis la réouverture de mai 2020 et jusqu’en septembre de l’année dernière, la période a été révélatrice sur la prise de risque des salles. Quand l’offre générale manquait, tout le monde a programmé des films art et essai porteurs, dont le nombre de copies a été multiplié, y compris dans des salles non classées. On s’est partagé le gâteau, mais les salles qui ont continué à prendre des risques sur des films de la diversité, ceux à moins de 80 copies, ont perdu beaucoup d’argent. Les mesures proposées dans le rapport Lasserre, 

qui découlent de cette période, sont faciles à comprendre et facilement applicables pour rééquilibrer le classement. Nous saluons aussi la proposition de renforcement du pouvoir de la médiatrice du Cinéma, face aux dérives constatées depuis la période Covid, notamment dans les villes à concurrence. La médiatrice a aujourd’hui davantage d’outils chiffrés et une bonne expérience, pour un dispositif vraiment nécessaire aux salles.

Mais faut-il se baser sur le nombre de copies d’un film recommandé pour cette pondération ?

SL : Je pense que oui. Un distributeur fixe le nombre de copies d’un film en fonction de son potentiel commercial. La prise de risque d’un exploitant est inhérente à ce potentiel, que ce soit sur l’art et essai “fragile” – un film sortant sur moins de 80 copies, un film “moyen” de moins de 450 copies, ou porteur au-dessus de 450. Pour autant, certains films avec une combinaison de 500 copies ou plus n’en sont pas moins des films art et essai : Nope ou Dune sont des films novateurs qui, tout en s’inscrivant dans un genre, portent le regard d’un auteur. 

Au risque d’aboutir à un trop grand nombre de films recommandés art et essai ?  

CBF : Il faut réinterroger la recommandation des films, sans avoir de positions automatiques. Il ne faut pas exclure un film d’un grand studio américain s’il a des qualités artistiques ou formelles, même s’il est plus facile à programmer que d’autres. A contrario, on ne doit pas se baser sur le sujet sociétal d’un film qui permet de faire des débats, mais sur sa qualité cinématographique. 

SL : Le système de la recommandation implique que l’on voie et aborde tous les films de la même façon, les prochains Scorsese ou Christopher Nolan, qui promettent d’être des films de qualité, comme ceux d’auteurs européens, qui ne doivent pas être systématiquement identifiés art et essai. Il faut une exigence supérieure : c’est ce qui redonne du sens au travail de programmateur. Aujourd’hui, 60 % des films qui sortent sont recommandés art et essai, ce qui mécaniquement augmente le nombre de salles classées. C’est trop, et d’autant plus qu’ils sont recommandés a priori. 

Entendez-vous les craintes de petits cinémas, notamment en territoires ruraux, qui ne peuvent consacrer beaucoup de séances à l’art et essai “pointu” ?

CBF : Il faut distinguer ce qui relève du fantasme et d’une crainte compréhensible. Notre position n’est pas de juger et d’exclure certains cinémas, mais de dire que le travail est différent selon les films et les salles. Aujourd’hui, le pourcentage de 20 % de programmation art et essai pour être classé n’est pas très exigeant. Au départ, l’art et essai reflète quand même l’idée d’engagement et de ligne politique. Aujourd’hui, les salles les plus sanctionnées sont celles qui font le plus gros travail, et ce ne sont pas seulement celles des grandes villes. 

Comment réagissez-vous à l’arrêt du fonds jeunes cinéphiles ?

SL : C’est une grosse déception. Comment imaginer que cette aide précieuse, qui nous a permis d’enclencher beaucoup d’actions, était un one shot ?  Nous avons à peine commencé le travail qu’il est déjà arrêté, ou que nous devons désormais financer nous-mêmes ces actions. On aurait pu annoncer moins d’argent mais l’étaler sur trois ans, le temps de retrouver un marché normal. Car c’est seulement dans le cadre d’un marché normal que l’on peut mesurer l’efficacité de ce travail et le retour en salles des jeunes cinéphiles. 

CBF : Se concentrer sur les plus jeunes était une bonne idée, or ce fonds n’aura été qu’un effet d’annonce. Le dispositif a eu la vertu d’encourager certaines salles et a montré que l’animation et l’accompagnement des films nécessite des moyens humains et financiers. On nous dit que ce travail sera pris en compte dans le classement des salles, mais le fonds a été absorbé dans l’enveloppe globale, qui reste fermée. 

Le Scare mène aussi des actions de formations qui bénéficient à l’ensemble des salles. Avez-vous d’autres projets ?

CBF : Les formations du Tour de France digital, initié avec le CNC, a montré que l’idée du collectif est centrale dans la démarche de notre syndicat : faire profiter de nos actions au plus grand nombre. Il en va de même pour les formations ressources humaines ou de maintenance cabine avec la CST. Par ailleurs, nos projets sur l’utilisation des data visent à fournir des outils aux salles art et essai, qui sont parfois démunies en termes de compétences. Et ce n’est pas le privilège des multiplexes que de vivre dans l’époque.

SL : Aujourd’hui, nous nous posons la question de relancer un Tour de France digital, la communication numérique ayant évolué depuis la mise en route du premier, commencé avant le Covid. Parmi nos autres travaux, nous rédigeons un Livre blanc de l’éducation à l’image, avec l’Archipel des Lucioles [ex Passeurs d’images et qui coordonne les dispositifs scolaires à l’échelle nationale, nldr.]. Ce Livre est destiné aux salles mais aussi aux élus, pour détailler et faire comprendre ce que représente l’éducation aux cinémas et notamment son étendue territoriale. 

Enfin, de façon plus générale, Le Scare travaille au quotidien aux côtés de ses adhérents : nos administrateurs participent à tour de rôle aux médiations sur certains films et interviennent dans les Commissions d’aménagement cinématographique, dans un esprit très collectif. 

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Le bureau du Scare, à l'AG de 2022 © Tanguy Colon

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