La French Touch de Warner

S'il a été l'objet d'un contentieux sur le volet professionnel, Un long dimanche de fiançailles a été un succès public avec quelque 4,5 millions d'entrées en 2004.

Au fil de son histoire, Warner Bros a rapidement pris la mesure de l’importance des marchés internationaux, déclinant sa présence localement. De la distribution de ses titres hollywoodiens à la production de films français, en passant par le lien avec les salles, focus sur la filiale hexagonale.

Si la présence du studio en France se serait matérialisée dans les premières années par l’intermédiaire de Jacques Haïk (futur créateur du Grand Rex), distributeur attitré des films Warner, ce n’est qu’en 1929 que la major s’installe physiquement à Paris (comme en attestent les archives de la revue professionnelle La Cinématographie française), rue de Courcelles, dans les locaux de la First National Films que les frères Warner viennent d’acquérir outre-Atlantique (voir l’historique complet du studio). Dans une France alors assez protectionniste, la succursale, dirigée par Albert Saltiel, s’attelle durant la décennie suivante à promouvoir le cinéma américain aux côtés des autres filiales des principaux studios, réunis au sein du Syndicat franco-américain de la cinématographie (Sfac) fondé en 1934 et qui œuvre dans le prolongement du travail de la Motion Picture Export Association of America (MPEA).

Alors que la Seconde Guerre mondiale met fin temporairement aux affaires des studios en Europe – dans l’Hexagone, le régime de Vichy interdit l’importation des films hollywoodiens –, durant l’après-guerre, le Sfac s’attelle à favoriser la reprise en s’entendant avec les exploitants alors que les quotas drastiques imposés par les instances françaises aux productions américaines sont supprimés avec l’accord Blum-Byrnes de mai 1946. À cette époque, Warner Bros. France est dirigée par Jacques Salberg et possède plusieurs agences en régions : à Marseille, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Nantes, Strasbourg et Paris (pour la partie Nord). La filiale s’essaie à la distribution de films tricolores avec Tambour battant et La Pocharde (1952) de George Combret, et va accélerer cette tendance la décennie suivante, sous la houlette du nouveau patron Roger Goimbault, avec une quinzaine de films et notamment La Guerre des boutons (1962) d’Yves Robert, le deuxième plus gros succès à date de Warner en France avec 10 millions d’entrées. L’espace de quelques mois, la succursale est rebaptisée Warner Bros.-Seven Arts (Transatlantic) dans la foulée du deal américain (1967) ; elle reprend en 1969 son nom d’origine lors du rachat par Kinney National.

Sorti en 1962, La Guerre des boutons d’Yves Robert a emballé 10 millions de spectateurs.

Au début des années 1970, Warner Bros. et Columbia Pictures officialisent leur rapprochement pour la distribution internationale, sous la bannière Warner Columbia Films. En France, ce groupement d’intérêt économique (GIE) est toujours administré par Roger Goimbault, qui laissera ensuite sa place à Elie Costa et Wayne Duband. Durant cette période, la branche française accompagne, entre autres, Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1972) et L’Exorciste de William Friedkin (1974), qui séduisent largement le public. À la tête du GIE de 1985 jusqu’à sa dissolution en 1987, Steve Rubin est ensuite nommé directeur général de Warner : « J’avais une offre des deux sociétés mais j’ai choisi Warner qui venait de signer un contrat de cinq ans pour distribuer les films Disney et de sa filiale Touchstone en France », raconte l’intéressé, qui va notamment s’occuper du Cercle des poètes disparus (1989) et de Pretty Woman (1990). « Côté Warner, Full Metal Jacket (1987) reste un souvenir mémorable avec des discussions quasi quotidiennes avec Stanley Kubrick, qui suivait la sortie française dans les moindre détails. » Cette période coïncide également avec les lancements des franchises Mad Max (1982) et L’Arme fatale (1987). En parallèle, la structure accompagne quelques longs français comme Sac de nœuds de Josiane Balasko (1985), Autour de minuit de Bertrand Tavernier (1986) ou Le Brasier d’Eric Barbier (1991). « Ce n’était pas une priorité de Los Angeles à l’époque, mais il y avait tout de même la volonté, dans les pays européens où le studio était implanté, de coproduire des films locaux », note Steve Rubin, qui garde la direction de Warner en 1992, après la fin de l’accord avec Disney, jusqu’en 1997. 

L’arrivée de Francis Boespflug, entre autres co-fondateur de Pyramide, comme président de la branche cinéma de la filiale marque un tournant dans le rapport entre Warner et la production française. « Je ne vois pas comment un distributeur basé en France, un pays où l’industrie cinématographique fait preuve d’une telle vitalité et où les films locaux se portent si bien, ne serait pas impliqué dans la production locale », avait déclaré le dirigeant dans les colonnes de ScreenDaily. Sous sa direction, la major coproduit entre autres La Classe de neige de Claude Miller (1998) et Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet (2004), pour lequel Francis Boespflug se voit finalement refuser l’agrément d’investissement du CNC par un arrêt du tribunal administratif, qui considère le film comme américain du fait de la forte participation de Warner dans son financement. Malgré ce contentieux, la succursale continue à suivre le cinéma français, avec les acquisitions de La Vérité si je mens 2 de Thomas Gilou (2001) et, surtout, Les Bronzés 3 de Patrice Leconte (2006), à ce jour le plus gros succès du studio dans l’Hexagone avec 10,2 millions d’entrées. 

Installée depuis le début des années 2000 dans ses actuels bureaux de Neuilly (suite à la fusion AOL-Time), la succursale française va être restructurée dès 2006 lorsqu’Iris Knobloch devient Country Manager de Warner Bros. et met fin à l’organisation en silos – services cinéma, télévision, home entertainment, produits dérivés… – pour apporter davantage de transversalité, avec notamment une division marketing commune qui voit le jour en 2009. À cette même période, les agences régionales de la filiale à Marseille et Bordeaux ferment, le bureau de Lyon continuant quelques années à piloter les activités pour le Sud avant de suivre le même chemin en 2015. « Alors que la manutention des copies et la proximité avec des exploitants qui se déplaçaient moins imposaient d’avoir beaucoup plus de main d’œuvre, le passage progressif au numérique, la sophistication de la programmation et des raisons économiques ont conduit à ne conserver que le bureau de Neuilly », explique Olivier Snanoudj, arrivé comme responsable de la distribution cinéma en 2007. Parmi ses plus beaux souvenirs ? « Ma première rencontre, début 2009, avec Clint Eastwood, pour la sortie de Gran Torino. À table, entre lui et Pierre Rissient [homme de cinéma aux multiples facettes, ndlr.] en train d’évoquer leurs innombrables souvenirs, qui n’étaient autres que des morceaux choisis de 50 ans d’histoire du cinéma ; j’avais l’impression de vivre un rêve éveillé ! Sa bienveillance immédiate, son humanité, son humour ont préfiguré bien d’autres rencontres tout aussi merveilleuses au cours des 15 années qui ont suivi. Finalement, c’est une des définitions d’un grand studio : la relation suivie, parfois sur plusieurs décennies, avec de grands réalisateurs. »

Sous la responsabilité d’Olivier Snanoudj, Warner Bros. France a notamment distribué The Artist de Michel Hazanavicius (2011), récompensé par cinq Oscars dont celui du meilleur film, Les Seigneurs (2012) ou, plus récemment, Simone, le voyage du siècle (2022), réalisés par Olivier Dahan. « Auparavant, les studios produisaient des films pour le marché américain et les performances à l’international étaient du bonus. Warner a, depuis une trentaine d’années, infléchi sa production vers des œuvres susceptibles de plaire aux Américains mais aussi au public du monde entier. » 

Prix d’interprétation masculine à Cannes, Jean Dujardin reçoit également l’Oscar du meilleur acteur en 2012. The Artist de Michel Hazanavicius est par ailleurs consacré meilleur film, meilleur réalisateur, meilleurs costumes et meilleure musique.

L’an passé, Warner a encore changé d’identité à l’échelle mondiale suite à la fusion avec Discovery, pour devenir localement Warner Bros Discovery France, dirigée par Pierre Branco, également directeur général du Bénélux et de l’Afrique. Si cette union préfigure une nouvelle ère, elle se concrétise à l’heure où le studio fête son centenaire, que la filiale tricolore a souhaité célébrer avec envie, via plusieurs événements dont une rétrospective en 11 films (parmi ses plus grands classiques) prévue dès le 7 juin en salles. La succursale essaie autant que possible de tirer profit du riche catalogue du studio qui ne cesse de se moderniser – « de nouveaux titres sont numérisés chaque année et s’ajoutent aux 400 films existants ». « Mais cela demande du temps et c’est ce qui nous manque le plus, car nous devons d’abord sortir les nouveautés », indique Olivier Snanoudj. « Nous essayons régulièrement de programmer de  vraies reprises, avec un budget de lancement et du matériel promotionnel, à l’image du succès des Forbidden Hollywood en 2020. Nous laissons également une grande latitude aux salles qui souhaiteraient programmer des séances dans un cadre spécial. Au final, nous arrivons à trouver un modèle économique, entre la salle, les ventes vidéo et TV générées. » En France, l’appétence du public et des professionnels reste assez inédite par rapport à d’autres territoires. Une cinéphilie que Warner Bros. France, entre films d’hier et d’aujourd’hui, entend continuer à alimenter pendant de nombreuses années.

S'il a été l'objet d'un contentieux sur le volet professionnel, Un long dimanche de fiançailles a été un succès public avec quelque 4,5 millions d'entrées en 2004.

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