En collaboration avec Jonathan Papish, BoxOffice US
Malgré un prix moyen du billet à 34 yuans (4,50 €), les cinéphiles chinois déboursent rarement cette somme pour se rendre dans les salles obscures. Et pour cause : les promotions en ligne sont légion et font chuter le prix du ticket de cinéma jusqu’à 9,9 yuans (1,30 €) pendant les périodes de haute fréquentation.
Ces promotions sont en réalité des subventions, un outil marketing que les studios, les distributeurs et les plateformes de billetterie en ligne utilisent pour vendre plus facilement leurs billets durant des périodes où la concurrence est rude entre les films. Chacun paie une part du prix du billet, lui-même établi par le distributeur et le cinéma, et fait ainsi baisser le prix payé par le spectateur en caisse. Cette pratique très répandue, d’abord utilisée par les applications de billetterie pour se démarquer dans un marché fortement concurrentiel, a institué une véritable guerre des prix. L’enjeu était colossal : établir la base d’utilisateurs la plus importante dont les données pourraient être soit revendues aux distributeurs, exploitants et entreprises marketing, soit directement utilisées pour un profit immédiat.
Ces cinq dernières années, la compétition s’est réduite à quelques joueurs d’envergure : Maoyan et Taopiaopiao sont aujourd’hui les leaders du marché et représentent à eux deux 85 % des billets vendus en Chine. La pratique des “subventions” continue toutefois, surtout pendant les vacances dans le pays, malgré des critiques de plus en plus violentes concomitantes avec l’évolution des goûts du public. Parmi les critiques qui reviennent le plus, celle d’une manipulation des succès au box-office, principalement orientés vers des films de piètre qualité. De plus, le succès de fréquentation des films semble davantage déterminé par la somme d’argent, de plus en plus conséquente, déployée en subventions. Les films qui ne peuvent se permettre de telles dépenses peinent ainsi à trouver leur public.
Chen Zhixi, productrice de la comédie chinoise à succès Detective Chinatown et présidente de Ruyi Films, a condamné les spectateurs qui “obéissent aveuglément à la loi du box-office, ce qui crée un déséquilibre entre la qualité du film et ses performances sur le marché”.
Bien que désagréable, la remarque de Chen Zhixi n’en reste pas moins avérée. Les chiffres du box-office chinois révèlent en effet un écart conséquent entre les avis des spectateurs et les bénéfices engrangés. En 2013, Tiny Times, un mélodrame qui suit un groupe d’adolescents matérialistes à Shanghai, avait atteint le top 10 en récoltant 78 millions de dollars. Un an plus tard, une adaptation de l’émission chinoise à succès Dad, Where Are We Going? avait réalisé un bénéfice de 112 millions de dollars à l’occasion des vacances du Nouvel An Lunaire. Ces deux films avaient pourtant été fortement critiqués. Mais comme souvent en Chine, les choses évoluent rapidement. À l’été 2015, trois films populaires maison – Monster Hunt, Jianbing Man et Monkey King: Hero is Back – ont finalement dominé le box-office, atteint le top 10 et engrangé chacun plus de 150 millions de dollars de recettes.
Les organismes de réglementation gouvernementaux ont aussi pris note de la récente évolution de l’industrie cinématographique chinoise vers davantage de contenu et ont décidé d’introduire de nouvelles règles pour freiner l’usage de subventions pendant le très rentable Nouvel An Lunaire. Ces règles prévoient un tarif minimum de 19,9 yuans (2,60 €) et un plafond de 500 000 billets subventionnés par film.
Quelques jours avant le dernier Nouvel An Lunaire, la crainte que ces restrictions découragent les spectateurs d’aller voir des films était vive. Il n’en a rien été : pendant la semaine de congés, 900 millions de dollars de billets ont été vendus, soit 144 millions d’entrées, un record. Dans le même temps, deux films projetés en avant-première le même jour (Detective Chinatown 2 et Operation Red Sea) ont largement dépassé les 500 millions de dollars de recettes.
Alors que ces films à succès étaient tous distribués par les plus importants acteurs du secteur, qui se seraient probablement permis de plus grandes subventions si le gouvernement n’avait pas imposé de restrictions, les spécialistes s’accordent à dire que la disparition de ces subventions aura bien l’effet escompté : faire en sorte que les films rivalisent par leur qualité et non leur capital financier.
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