Alors que la pandémie contraint les festivals de cinéma à annuler, à se reporter en ligne ou à… réfléchir à d’autres formes, comment les œuvres vont-elles exister sans cette rampe de lancement ? Et les films vont-ils se vendre de la même façon sur des marchés virtuels, sans le bouillonnement de la rencontre réelle ? Ces questions étaient au centre de la cinquième table ronde confinée proposée par Le FIlm Français et Comscore le 24 avril.
Intervenants : Charlotte Boucon, directrice des ventes internationales chez SND, François Clerc, directeur général d’Apollo Films, Daniela Elstner, directrice générale d’Unifrance, Émilie Georges, présidente de Memento Films International, Mickaël Marin, directeur de Citia (festival et marché d’Annecy) et Jérôme Paillard, directeur délégué du marché du film de Cannes.
Si l’on ne sait toujours pas comment la sélection officielle cannoise vivra cette année, le festival du film d’animation d’Annecy, lui, a décidé de proposer une version numérique, réduite, de son édition 2020 prévue en juin et de son marché. « Annecy en ligne se déroulera sur une période plus longue que la durée habituelle du festival, mais le MIFA durera quatre jours, avec certains contenus disponibles à des dates et horaires précis et d’autres accessibles plus longtemps », précise Mickaël Marin, ajoutant que le festival 2020, ouvert à ceux qui auparavant ne pouvaient se déplacer, enregistre plus de demandes d’accréditations que les années précédentes.
Pour Jérôme Paillard, qui dirige le marché du film de Cannes, il était impensable de se séparer du festival et « quand Thierry Frémaux a parlé d’une possibilité fin juin, nous avons réfléchi à ces dates ». Le marché se tiendra donc du 22 au 26 juin, en ligne. « Nous savons que c’est un succédané, mais voulons permettre de montrer des films avant l’été, en gardant le plus possible la manière de travailler de Cannes, sur des dates serrées. Nous aurons trois grilles pour la présentation des projets, selon trois fuseaux horaires pour l’Europe, l’Asie et les États-Unis. »
Des marchés virtuels pour se rencontrer
Jérôme Paillard ajoute que « 80 % des acheteurs interrogés en amont ont répondu être intéressés par un marché en ligne », et pense « en toucher de nouveaux qui ne pouvaient pas venir à Cannes, car trop cher et trop loin ». Les accréditations, à un tarif plus bas que d’habitude, donneront accès à une plateforme où l’on pourra retrouver les salles et pavillons habituels en virtuel, les speed dating et tables rondes.
Car même sans l’effet dynamisant d’un festival live, ces marchés en ligne doivent permettre la rencontre et l’interaction entre professionnels. Pour les associations européennes qui travaillent ensemble à leur élaboration, Daniela Elstner, chez Unifrance, se réjouit que ce soit une façon de se rapprocher et de parler, enfin, de cinéma. Pour Émilie Georges de Memento, « la période de confinement a vu fleurir beaucoup d’initiatives des distributeurs indépendants, qui ont lancé des espaces virtuels en partenariat avec les salles art et essai. C’est encore plus vrai aux États-Unis, où la consommation digitale est plus forte, où l’on a monté des drive-in en moins d’une semaine : autant d’expériences qui seront partageables au moment du marché en juin ».
Capacité d’investir
Reste à savoir quelle sera la capacité des acheteurs, en particulier des indépendants, à investir en cette période d’incertitude. Jérôme Paillard indique que, selon les pays, entre 40 et 75 % des distributeurs fréquentant le marché du film se disent en position d’acheter. Pour Émilie Georges, « même sans grande attente des ventes, les exportateurs ont besoin de présenter des projets artistiques ambitieux et les plateformes vont investir de plus en plus dans les films de grands auteurs ». Chez SND, dont le line-up dépend moins des festivals, on s’interroge aussi sur le potentiel des films commerciaux. « Mais le marché du contenu continue, même si les sorties digitales sont moins rémunératrices », souligne Charlotte Boucon, qui admet que le débat entre salle et plateforme est dépassé.
Mais après une si longue période de fermeture des cinémas, a-t-on besoin d’acquisitions ? François Clerc rappelle que les distributeurs français ont près de 200 films sur les étagères en attente de sortie. « Notre ADN nous dicte de faire naître les films en salle. C’est dans les salles que De Gaulle et La Bonne Épouse auraient dû être lancés et grandir : le box-office a un rôle essentiel dans les ventes internationales. » Confirmation de Memento : La Bonne Épouse, dont l’exploitation en salle a été interrompue au bout de trois jours, devait sortir dans de nombreux territoires deux semaines après la France. Mais les distributeurs internationaux ont suivi l’exemple hexagonal, préférant décaler la sortie plutôt que de se replier sur une exploitation digitale.
Le label des festivals
Ce qui est sûr, c’est que le marché de Cannes, comme le lancement des films à leur sortie, se fera sans la vitrine de la Croisette. Un label Cannes serait pourtant très bénéfique pour les films qui avaient été sélectionnés, surtout ceux ayant vocation à sortir dans les salles art et essai. « Une sélection dans les différentes sections cannoises conduit à un soutien de l’AFCAE, une labellisation qui, sur le marché français, fait partie de notre façon de défendre un film », rappelle le dirigeant d’Apollo.
Et la presse, qui n’a jamais été autant lue qu’actuellement sur les films sortant en digital, reste un soutien fort pour les indépendants. Au sujet des films français qui ne seront pas exposés à Cannes, Daniela Elstner signale que la presse internationale est en attente de nouvelles. « Unifrance vient de lancer une série d’interviews sur son site et les réseaux sociaux (« Gardons le lien » ) pour favoriser le contact entre le cinéma d’auteur et la presse étrangère, qui a un gros impact sur les marchés, y compris en ligne. »
Pour Émilie Georges, l’effet Cannes diffère selon le type de films. « Chez Memento, nous avions plusieurs films importants qui auraient eu besoin de la dynamique de Cannes pour être lancés à l’international et d’autres qui se destinent plus au marché domestique. Nous allons donc décaler certains projets. »
Du côté d’Annecy, où l’on accompagne de nombreux films d’animation dès le début de leur production, une sélection officielle est un label extrêmement important. « C’est aussi pour ça que nous avons voulu la maintenir en ligne », dit Mickaël Marin. « La presse sera associée à notre marché et nous ferons tout pour que l’on parle des films. »Des festivals 2020 en demi-teinte, donc, plutôt qu’une « année blanche ». Pour François Clerc, il faut raisonner sur les 18 mois qui viennent. « On peut supposer que les sections parallèles cannoises auront d’autres réponses et qu’un film sélectionné en 2020 pourra être montré en 2021. »
Pour l’heure et pour tous, il s’agit d’abord de recréer la confiance avec le public. Sans même parler de chiffres, mais de la possibilité d’aller au cinéma… sans danger.
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