Europa Cinemas, l’art et essai européen à l’action

Fatima Djoumer et Mathias Holtz © Gediminas Gražys, CEO et Président d'Europa Cinéma

Après Paris en 2022, c’est à Vilnius que s’est installée la conférence biennale d’Europa Cinemas. Plus de 500 professionnels issus de 35 pays étaient réunis pour échanger et concevoir ensemble la façon de relever les défis du cinéma européen et de ses salles… Vivier d’initiatives, Europa Cinemas continue d’accompagner les exploitants européens à optimiser leurs projets, ressources et compétences.

Du 28 novembre au 1er décembre, Mathias Holtz présidait ses premières rencontres européennes, aux côtés de Fatima Djoumer, CEO d’Europa Cinemas, qui rassemble désormais 3 121 écrans dans 783 villes. Une conférence sous le signe de « la collaboration partagée pour mieux s’adapter aux nouveaux paysages cinématographiques ». Les cinémas européens indépendants labellisés Europa Cinemas étaient au rendez-vous des trois jours de conférences, d’ateliers et de présentations de projets novateurs et différenciants, pour « un monde où la démocratie et la diversité continuent de s’épanouir », introduisait le président. Pour Lucia Recalde, directrice du programme européen Media, il sera nécessaire de s’appuyer sur le succès des travaux actuels, pour défendre le budget 2027 alloué au réseau auprès de la commission européenne, au regard du contexte international compliqué.

L’équipe d’Europa Cinemas ont œuvré pendant trois jours à Vilnius pour accueillir plus de 500 participants venus de 35 pays

Les spectateurs veulent tout !

Tous s’accordent sur le rôle intact du cinéma comme espace social unique. Néanmoins, une étude menée par le British Film Institute confirme que, depuis la crise sanitaire, le spectateur est plus pressé et exigeant qu’avant. « Avec toujours plus de contenu à la maison, la sortie cinéma est désormais un moment privilégié et spécial. Les nouveaux spectateurs sont plus jeunes, plus pressés et plus exigeants : ils veulent tout ! », selon Ben Luxford, directeur des publics UK au BFI. Le facteur temps devient essentiel : il faut offrir un service maximum en un minimum de temps. Pour Elise Jalladeau, directrice générale du Thessaloniki Film Festival en Grèce, « le choix des films se restreint. Les jeunes ne veulent ni prendre de risque, ni perdre leur temps ». 

Dès lors, comment les inciter à la découverte ? Pour Giuliana Fantoni, vice-présidente de la Fédération italienne des cinémas art et essai (Fice), les jeunes aiment au contraire être surpris. En tant qu’exploitante à Trévise, elle estime que, « loin d’être fainéants, ils sont très curieux et ont une idée précise de ce qu’ils aiment ou pas. Ils ne savent pas encore qu’ils sont cinéphiles ». Ce qui nécessite de les accompagner et de les nourrir constamment, tout en les impliquant dans la programmation. En somme… de faire confiance à son public, mieux le connaître pour l’amener à faire de nouvelles découvertes. Beaucoup de cinémas indépendants concentrent ainsi leurs efforts sur une forme d’”hyper-localisation”, en d’autres termes la construction de communautés fortes au sein d’un lieu où ils aiment se retrouver.

Hyper localisation et hyper créativité

En Roumanie, les cinémas Victoria, Timis et Studio ont rencontré un grand succès au sein d’une ville relativement petite et dépourvue de salles art et essai jusqu’alors. Parmi de multiples animations, l’un des cinémas développe des séances régulières accompagnées de thérapeutes, dans une ambiance feutrée et autour de thèmes bien précis. « Nous passons des partenariats avec des professionnels qui, eux aussi, engagent leur propre communauté », explique Loana Dragomirescu. De son côté, le cinéma Méliès de Saint-Étienne a créé depuis la Covid un groupe d’”amis du cinéma”, d’abord sur les réseaux par des jeux réguliers ; puis par des activités, « notamment pour le 5e anniversaire de la communauté, avec une sortie en bus, à la manière d’une colonie pour adultes », s’amuse le programmateur Sylvain Pichon.

Pour Élise Mignot aussi, directrice du Café des Images d’Hérouville-Saint-Clair, le cinéma dépasse la simple projection de films et devient un lieu de production d’idées et de débats. En s’appuyant sur une stratégie de prise de risque avec les nouveaux médias, son équipe a lancé un programme sur Twitch, réunissant de jeunes communautés de streamers voir [Boxoffice Pro du 23 août 2023]. Si le projet, soutenu par le programme d’Europe Cinémas Collaborate to Innovate, était coûteux en ressources et en temps, il a permis d’engager le cinéma dans une nouvelle manière de dialoguer avec des publics diversifiés.

Côté jeux vidéo, Axel Scoffier, secrétaire général d’Unifrance, a présenté « My Meta Stories ». Ce programme a été conçu pour atteindre de nouveaux publics dans le monde virtuel, en particulier à travers Minecraft, où des joueurs de divers pays collaborent. Avec un âge moyen de 24 ans, les participants peuvent, via leurs avatars, explorer la ville virtuelle, découvrir l’histoire du cinéma tout en jouant. Les séances ont des horaires précis, nécessitant un ticket d’entrée comme dans une salle traditionnelle, avec un contrôleur à l’entrée. Lors de sa première édition l’année dernière, le serveur MyMetaStories a accueilli jusqu’à 5 000 joueurs simultanément, dont 60 % ont assisté à une projection de film.

En Pologne, Joanna Stankiewicz du cinéma Patacowe Poznan dirige le programme « Cinema Without Barriers », pour inclure les personnes handicapées en offrant des tarifs symboliques, soutenus par Europa Cinemas et la ville. Le programme, lancé en 2022 avec deux projections hebdomadaires, s’est développé en tenant compte des préférences du public handicapé grâce à des groupes de discussion. Ce projet axé sur l’inclusivité et qui a attiré 1 200 spectateurs, dont 700 en situation de handicap, est devenu un modèle de développement communautaire, fidélisant un public régulier. 

Les stratégies de marketing et communication demeurent au cœur des préoccupations et échanges des exploitants européens.

Face au “toujours plus”… optimiser ses ressources

Javier Pachón, directeur exécutif et programmateur de CineCiutat en Espagne, souligne de son côté l’importance d’une communication constante et cohérente auprès de ses communautés – tant en interne au sein de l’équipe du cinéma qu’en externe avec les clients. « Si vous voulez essayer de nouvelles choses, vous devez d’abord analyser et décider ensemble ce qui vous semble réalisable avec les compétences et le temps dont vous disposez. » En effet, si les salles ont redoublé d’efforts pour animer, éditorialiser et communiquer de façon ciblée et originale, les ressources, elles, sont restreintes… et les risques de surmenage bien réels.

Pour Wiktoria Pelzer, responsable du Stadtkino im Künstlerhaus et de l’Admiral Kino à Vienne, qui a importé le modèle d’abonnement illimité Cineville en Autriche [voir p. 12], la question est de développer la bonne démarche de leadership. « Nous sommes des PME, le burn-out est une problématique qui ressort. L’engouement et la passion font avancer, mais la passion peut être dangereuse. »

« L’avenir du cinéma indépendant est de gérer le temps, l’énergie et le manque de moyens », confirme David Kelly, programmateur au cinéma Lighthouse à Dublin, qui admet travailler sur des solutions d’intelligence artificielle et d’automatisation pour simplifier les process. « Il faut trouver des moyens pour faciliter la vie des équipes, augmenter leurs compétences, et gérer cette charge du travail qui ne cesse de croître. »

Bien qu’il n’existe pas de solution miracle, les nombreux témoignages recueillis lors des trois jours de conférences lituaniennes ont mis en avant une perception du public comme une entité dynamique, changeante et diversifiée, plutôt qu’un ensemble homogène. Cela nécessite une créativité et une innovation constantes. « Sans opposer les mondes en ligne et hors ligne », a conclu Michael Gibbons, journaliste et modérateur : « Il s’agit d’utiliser les nouvelles technologies, la data et l’intelligence artificielle pour renforcer les compétences, et non les remplacer. »

Pour Fatima Djoumer, le rendez-vous de Vilnius a rempli sa mission, et montré « une fois de plus que le réseau se révèle adaptable, résilient et innovant », se réjouissant au-delà de l’optimisme et des « vœux pieux », « la croyance, l’engagement et l’action » de ses membres.

Le Stadtkino de Vienne ©Leo Beckstein

Europa Cinemas Awards 2024
Les Europa Cinemas Awards 2024, ont été remis au Forum Cinemas de Vilnius, par les membres du conseil d’administration Maria Magdaléna Gierat (Kino Pod Baranami, Pologne) et Mustafa El Mesaoudi (Lichtblick Cinema GmbH, Allemagne) :

Meilleure programmation : Biografen Zita, Stockholm
Le cinéma Biografen Zita est distingué pour « son engagement à présenter une diversité de films européens qui a touché un large éventail de publics ». L’établissement porte un accent particulier sur les cinématographies sous représentées, ainsi que sur les documentaires et l’éducation à l’image.
Meilleure activité pour Jeune public : Skalvija Cinema Centre, Vilnius
Le cinéma Skalvija de la capitale lituanienne a adopté, pour mission centrale, la diffusion du cinéma art et essai européen, et propose une gamme de programmes d’éducation au cinéma pour « les jeunes publics de tous âges ».
Meilleur entrepreneur : Stadtkino im Künstlerhaus & Admiral Kino, Vienne
Les Stadtkino im Künstlerhaus & Admiral Kino ont reçu le prix nouvellement créé du Meilleur entrepreneur pour leurs initiatives « d’amplification de la diversité du cinéma européen », notamment en prenant en charge un deuxième cinéma dans la ville, « et en sortant constamment de leur zone de confort pour atteindre un public plus large ».

Article paru dans le Boxoffice Pro du 18 décembre 2024.

À lire aussi : L’illimité dans les salles art et essai européennes ; Zoom sur les Pays baltes.

Fatima Djoumer et Mathias Holtz © Gediminas Gražys, CEO et Président d'Europa Cinéma

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