ECM Istanbul 2018 : Rencontre avec Rob Arthur, fondateur de la Conférence des marchés émergents

INTERVIEW – Du 20 au 22 novembre, Istanbul hébergera le premier congrès dédié aux marchés cinématographiques émergents, qui rassemble les territoires en développement d’Asie Centrale, du Moyen-Orient, d’Afrique et des Balkans. Rob Arthur, le fondateur de la Conférence, dévoile la genèse de ce nouveau rendez-vous, ainsi que les perspectives qu’il offre au secteur.

BoxOffice France : CineEurope, CineAsia… Les conventions internationales sont généralement associées à des zones géographiques. Comment a « émergé » l’idée de cette nouvelle conférence ?

Rob Arthur : La Turquie, l’Asie Centrale, le Moyen-Orient, les Balkans et l’Afrique sont à un stade précoce de la croissance et du développement de leurs marchés cinématographiques, et offrent des opportunités considérables aux investisseurs, studios, distributeurs, exploitants et fournisseurs du secteur. Pour autant ces marchés sont généralement négligés, ne bénéficiant, en l’absence de données significatives, que d’une ou deux, voire d’aucune référence dans les rapports annuels. Leurs représentants ne peuvent généralement pas se permettre de se rendre aux événements internationaux majeurs (en Europe ou aux États-Unis) dont les programmes ne leur consacrent par ailleurs qu’un temps restreint. Dans l’ensemble, ces territoires émergents représentent 650 millions d’habitants, mais seulement 170 millions de billets de cinéma y sont officiellement enregistrés.

B.O. : Comment définissez-vous précisément un marché émergent ?

R.A. : Un marché est considéré comme émergent lorsqu’il dispose d’un taux de visite faible, principalement dans ses villes-clés, d’un nombre d’écrans limité, et d’une économie en croissance, avec des perspectives sur plusieurs décennies. Avec un PIB cumulé de 5 200 milliards de dollars, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Iran, les Émirats arabes unis, le Nigeria et l’Égypte représentent les plus gros marchés émergents. Le taux de fréquentation de moins de 0,3 sortie cinéma par an par habitant dans la région y préfigure une capacité de croissance de plus de 10 000 écrans, de 500 millions d’entrées et de 2,5 milliards de dollars de recettes (à un prix moyen de ticket modeste) !

Tout cela va demander du temps, de l’expertise et de l’évaluation de la part de tous les acteurs –  exploitants, distributeurs et fournisseurs – et constitue un nombre considérable de défis commerciaux mais aussi culturels. Les cinéastes turcs, kazakhs et arabes… sont en train d’accéder à de nouveaux publics, le contenu « local » s’ajoutant à l’impact des offres de studios internationaux et de Hollywood.

Pour tout cela, il faut accorder de l’importance au développement, mais aussi à la formation pour faire le meilleur usage possible de l’équipement technique acquis – il n’y a aucun sens à dépenser de l’argent sans être en mesure de proposer, chaque jour, la meilleure image et le meilleur son dans les meilleurs fauteuils.

Sur la prochaine décennie, je prévois l’émergence de nouveaux marchés au royaume d’Arabie saoudite, dans la région des Balkans, sur le continent africain (dont la taille dépassera certainement celui d’un seul marché) et en Iran.

B.O. : En quoi cette conférence dédiée était-elle nécessaire ?

R.A. : Les marchés émergents souhaitent être pris au sérieux comme opportunités d’investissement ; à la fois par les studios qui souhaitent de nouveaux débouchés, par les promoteurs immobiliers et propriétaires de centres commerciaux qui apprécient la plus-value cinéma dans leur offre de loisirs, par les producteurs qui doivent développer l’offre locale et créer un impact culturel au-delà des offres hollywoodiennes, et enfin par les fournisseurs tenus d’adapter leurs installations et équipements. Face aux bailleurs de fonds, capitaux privés et grands investisseurs sollicités pour soutenir leur croissance, ces marchés doivent garantir confiance, intégrité et informations précises. Ils doivent aussi offrir des perspectives à plus long terme pour ceux susceptibles d’être impactés par les fluctuations de leurs monnaies. Les conférences ne sont nécessaires que dans la mesure où les parties prenantes y participent de manière active. Les retours et les soutiens que nous avons eu pour ECM ont été extrêmement positifs.

B.O. : Quelle est la plus grande force d’ECM ?

R.A. : Elle réside dans la qualité et diversité des intervenants-conférenciers, de son exposition et des opportunités de rencontres qu’elle offrira à ses participants. Le partage d’expériences et de défis, collectivement ou en petits groupes, durant la conférence comme tout au long de l’année, assurera un meilleur soutien aux professionnels. Pour cette année 1, nous avons mis en place une base à partir de laquelle nous allons solliciter des retours et conseils de la part de tous les participants en vue d’améliorer et rendre la conférence plus pertinente année après année.

B.O. : Pourquoi avoir choisi Istanbul comme point de rencontre ?

R.A. : Istanbul est une ville-monde, entre l’Est et l’Ouest, l’Asie et l’Europe, ainsi qu’un pont commercial historique pour tous les marchés concernés. Sans compter l’aura qu’elle dégage et qui sera appréciée des participants à la conférence. De plus, les centres commerciaux et les cinémas y sont de première classe, et le pays dispose de la plus grande part de marché de films nationaux, avec plus de 50 % de productions locales sur ses écrans. S’ils veulent réussir, les marchés arabes et africains doivent développer une capacité de production locale similaire.

B.O. : L’ECM a donc bien, finalement, une délimitation géographique…

R.A. : Avec l’ouverture de son nouvel aéroport, Istanbul améliorera ses connections avec les marchés cibles. Certaines délégations ne peuvent pas se rendre aux conventions internationales à causes de restrictions de visas en Europe. L’accès facilité au visa en Turquie, couplée avec la possibilité de visiter Istanbul ou le pays en général, nous permet d’élargir notre portée vers des zones géographiques spécifiques.

B.O. : Quelles sont vos aspirations pour le futur de la manifestation ? Comment souhaiteriez-vous la voir évoluer ?

R.A. : Notre but est de faire de la Conférence annuelle des marchés cinématographiques émergents la plus pertinente et authentiques des conventions du secteur pour les marchés ciblés, et de veiller à ce que le réseau de conférenciers, délégations et sponsors se développe de pair, tout comme il est essentiel de fournir de nouveaux espaces de croissance à tous les acteurs de la filière, des créateurs de contenu jusqu’aux exploitants.

En tant qu’organisateurs, nous ferons un bilan après cette première édition mais nous voyons d’ores et déjà qu’il nous faut plus mettre en lumière certains territoires mûrs pour la croissance, en donnant des opportunités aux intervenants locaux. Ce sera notre mission pour l’année 2. Idéalement, nous souhaiterions aussi plus d’engagement de la part des studios et des associations professionnelles, ce dont je ne doute pas, lorsque la conférence et ses objectifs seront mieux connus. Faisons un pas à la fois…

B.O. : Nous souhaiterions recueillir en conclusion votre vision de l’exploitation française ; quelle contribution pensez-vous qu’elle puisse apporter aux marchés émergents ?

R.A. : Nous sommes ravis de compter parmi nous d’éminents intervenants français, dont Jean Mizrahi [président d’Ymagis, ndlr] et Jean-Marie Dura [NXNW Management & Conseils, ancien DG d’Ymagis et ancien DG en charge du réseau UGC]. Par ailleurs, une session sera consacrée à l’Afrique francophone dans le cadre de notre focus sur le continent, dont la croissance devrait avoir de bonnes répercussions sur le box office des productions françaises.

La France a développé un marché très puissant, qui  stimule la production locale. Cette expertise, qui fournit des expériences cinématographiques exceptionnelles au pays comme au reste du monde, constituera un élément essentiel du développement des marchés émergents.

B.O. : Quelles sont selon vous les meilleures « spécialités » françaises que ces derniers devraient adopter ?

R.A. : La France peut apporter une contribution précieuse aux marchés émergents en matière de récit et de réalisation de films, d’expertise technique, de savoir-faire en distribution, en conception de salles et bien sûr, en matière de professionnels qui aiment travailler en réseau et faire partie de ce secteur formidable.

Retrouvez le programme de la conférence sur https://www.dcs.events/home.php.

Photo d’illustration : Cinéma du Marina Mall de Dubai © Chapman Taylor

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