L’association qui coordonne au niveau national les dispositifs d’éducation aux images a une nouvelle déléguée générale et une nouvelle présidente depuis début septembre. Un nouveau chapitre qui s’ouvre… dans un contexte politique incertain où la bonne coordination entre tous les partenaires et acteurs de l’éducation au(x) cinémas est primordiale. En cette rentrée scolaire, Delphine Lizot et Stéphanie Dalfeur* livrent leur vision de l’association et de ses missions.
Après le départ du précédent délégué général, Patrick Facchinetti, et le décès du président Laurent Cantet le 25 avril dernier, comment s’est passée la transition au sein de l’Archipel des lucioles ?
Stéphanie Dalfeur : Patrick Facchinetti est parti fin janvier, et il a fallu du temps, en concertation avec nos partenaires financiers et institutionnels, pour mettre en place une nouvelle gouvernance. Mais l’activité a continué grâce Delphine Lizot et l’équipe, la trésorière (Aurélie Ferrier, Cannes cinéma), la secrétaire (Laurence Dabosville, UFFEJ Bretagne) et moi-même, et ce bureau féminin a réorganisé le mieux possible le travail de l’association pour que la confiance soit maintenue. Notre assemblée générale de juin 2024 a permis de tourner une page et de recruter en juillet Delphine comme déléguée générale, parmi une dizaine de candidatures. Aujourd’hui nous travaillons à l’horizon 2025, avec le souhait de redéfinir nos priorités : être toujours plus à l’écoute des territoires, accentuer la veille des différentes évolutions et politiques publiques.
Peut-on évaluer les conséquences des nouvelles mesures de l’Éducation nationale, sur les dispositifs Collège et Lycéens et apprentis au cinéma ?
S.D. : Quand Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a annoncé à la rentrée 2023 le guide du RCD – le “remplacement de courte durée” dans les établissements du 2nd degré, qui affecte les sorties et la formation des enseignants – , les établissements avaient six mois pour s’y préparer avec les rectorats. Deux académies ont décidé de l’appliquer tout de suite et on a vu la catastrophe [dont la Normandie, où, selon le président de la FNCF, la participation à Collège au cinéma a baissé de 80 % sur l’année 2023/24, ndlr.] ; les autres ont attendu. Nous allons donc mesurer pleinement les conséquences de ce guide RCD cette année.
À cela s’ajoute, pour cette rentrée, les groupes de mise à niveau, dans le cadre du “choc des savoirs” voulu par Gabriel Attal. Comme la réforme du bac : ça casse des classes. La classe complète n’étant réunie que 10 semaines dans l’année, cela limite les possibilités de sorties et incite les établissements à quitter les dispositifs : par exemple en Alsace, où ils sont 11 % à ne pas s’être réinscrits.
Delphine Lizot : Nous n’avons pas encore de données précises pour cette rentrée, par département et par dispositif. Mais sur l’année 2023/24, la baisse des inscriptions d’enseignants à Collège au cinéma a été globalement de 9,2 %. Le guide du RCD a aussi beaucoup déstabilisé les Conseils départementaux qui financent les sorties, et qui déplorent l’absence de formation des enseignants. Certains ont émis l’hypothèse de se désengager de Collège au cinéma ; c’est déjà le cas dans le département du Nord et nous avons des échos alarmants venant des Côtes d’Armor.
On entend aussi que certains départements – notamment celui de la Loire – financent les séances Collège au cinéma avec la part collective du pass Culture. Est-ce un risque ?
S.D. : La part collective du pass est un atout car elle permet de financer des activités culturelles complémentaires aux séances des dispositifs nationaux, comme des ateliers. Elle peut aussi, face aux difficultés financières des collectivités et à la demande des partenaires, compléter le financement des séances inscrites dans les dispositifs, en remplaçant la participation des parents. Le risque n’est pas tant que cette part collective vienne remplacer des lignes de crédit dans les établissements scolaires, mais que le pass Culture ne soit pas pérennisé… et que l’on n’ait alors plus de financement du tout.
D.L. : Cela dépend beaucoup des territoires et de leurs comités de pilotage, mais on peut craindre en effet de voir se désengager des partenaires comme les collectivités, face à la manne financière que représente le pass Culture. Plus largement, si la part individuelle est entrée dans les habitudes des jeunes, l’étude de l’IGAC publiée cet été [voir Boxoffice Pro n°473] montre qu’elle ne réduit pas les inégalités face à la culture. Sa part collective, comme les dispositifs solaires nationaux, s’adresse en revanche à tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale.
Les dispositifs École et Maternelle n’étant pas concernés par ces mesures, ont-ils toujours autant de succès ?
D.L. : Si le nombre d’élèves est stable, on voit aussi un mouvement à la baisse, depuis 10 ans, sur la formation des professeurs des écoles. Leurs stages sont de plus en plus rares et se concentrent sur les enseignements “fondamentaux”, mis en avant par les derniers ministres de l’Éducation, après une période où l’EAC a eu le vent en poupe. La pratique du distanciel a aussi impacté ces formations au cinéma, qui prévoient que les enseignants découvrent les films en salle. Pour “Maternelle”, généralisé depuis deux ans, les sorties des classes sont facilitées, notamment parce que les programmes sont plus courts.
Où en sont les dispositifs hors temps scolaires, “Passeurs d’images” et “Des cinés, la vie !” ?
D.L. : Nous sommes en train de réactualiser le protocole de Passeurs d’images, une étape importante qui doit s’achever avant la fin 2024 : il s’agit de recenser les besoins et les idées des coordinations sur le terrain, ce qui représente un gros travail de synthèse, avec le CNC qui assure le secrétariat. Le protocole actuel date de 2009 et nous comptons sur cette refonte pour valoriser ce dispositif, qui a plus de 30 ans et touche des jeunes éloignés du cinéma – en milieu rural, zone prioritaire, en situation de handicap… –, mais a beaucoup moins de visibilité que les dispositifs scolaires.
Quelles sont vos relations avec les exploitants ?
S.D. : La finalité des dispositifs est de faire découvrir les œuvres en salles, ce qui a été inscrit dès les statuts de l’association, notamment en prévoyant que des exploitants siègent au conseil d’administration (Aurélie Delage pour la FNCF, des représentants de l’Afcae…) font ainsi la passerelle entre le quotidien des salles et notre travail de coordination.
D.L. : Même si nos enjeux ne sont pas toujours les mêmes, notre volonté commune est que les jeunes générations se retrouvent en salle et nous devons être solidaires. Nous n’avons pas toujours accès aux mêmes infos en même temps – l’an dernier, nous avons été informés du guide RCD avant les exploitants –, et c’est aussi le travail de l’Archipel que de décrypter les dossiers et décisions de l’Éducation nationale.
Nous avons mis en place des réunions mensuelles, “les après-midi des dispositifs”, qui permettent d’échanger entre différents dispositifs et territoires, et où nous invitons les partenaires institutionnels. C’est vraiment notre mission que d’animer le réseau.
… et avec les distributeurs, à travers le choix des films ?
S.D. : Pour certains distributeurs, comme ceux du SDI, avoir un film aux catalogues des dispositifs représente une manne régulière. Certains films y sont depuis plus de 20 ans. Or on voit que la baisse de formation des enseignants touche des strates différentes et influe sur toute une économie : si les profs n’ont plus les clés pour aborder certains films avec leurs élèves, ils vont choisir des films moins pointus.
D.L. : Les catalogues proposent une vraie diversité [voir p. 30] : si les films les plus difficiles d’accès sont écartés, cela pourrait avoir des conséquences sur la cinéphilie des nouvelles générations et sur tout notre écosystème. C’est un vrai sujet, dont le CNC s’est aussi emparé, dans un contexte où les programmations ont tendance à s’uniformiser.
Pour résumer, quelle vision portez-vous pour l’Archipel des lucioles ?
S.D. : Après le bouleversement de la Covid puis du guide RCD, et dans le contexte politique actuel incertain, nous devons être à l’écoute du terrain en étant interface, outil et ressource, et accompagner des professionnels qui ont beaucoup à faire.
D.L. : Pour le projet 2025, je résumerais ma vision en trois mots clés : “humilité”, pour garder la notion de service ; “exigence”, dans les propositions d’accompagnement et de réflexion ; “incontournable”, pour les coordinations mais aussi pour tous les professionnels de l’éducation aux images. Nous devons être dans une dynamique collaborative et pas descendante, qui se nourrit des expériences des uns et des autres.
Je souhaite aussi que nous soyons sensibles aux mœurs qui évoluent, attentifs aux discriminations à travers notre travail, pour une société plus tolérante : je pense que l’éducation aux images peut y contribuer.
*Stéphanie Dalfeur, directrice depuis 2010 du RECIT*, le Pôle régional d’éducation aux images et réseau de salles de cinéma en Alsace, était déjà vice-présidente de l’Archipel des lucioles avant d’en être élue présidente, lors du CA le 4 septembre. Elle a commencé sa vie professionnelle dans l’exploitation, en 1997 aux 400 coups d’Angers, et a poursuivi dans la distribution pendant plus de 7 ans (Pyramide, Sony, puis TFM en 2001). En 2007, elle part vivre à Strasbourg, où elle fera de la production de documentaires télé, au sein de la structure Ana Films. En 2010, elle rejoint l’association territoriale Alsace Cinémas, qui coordonnait à l’époque les dispositifs scolaires et lançait le festival d’Augenblick, et qui deviendra le RECIT.
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