Drive-in et en plein air, entre polémique et solidarité interprofessionnelle

À Cannes ou à Caen, des exploitants organisent des séances en drive-in, en partenariat avec les collectivités, mais avec la billetterie de leurs salles en attendant leur réouverture. Pour cet été, d’autres réfléchissent à l’organisation de projections en plein air, notamment les circuits itinérants. Un sujet qui fait débat au sein de la FNCF, particulièrement pour ce qui relève des séances non commerciales.

Drive-in à Caen, En avant !

En avant, Parasite en noir et blanc, Judy et 10 jours sans maman : ce sont les films programmés du 26 au 30 mai sur le parking du parc des expositions de Caen, par le cinéma art et essai-recherche de la ville, le Lux. Pour son directeur Gautier Labrusse, « l’idée n’est pas de faire un événement, mais un véritable relais d’activité : jusqu’à la réouverture, ce parking devient la salle du Lux ». C’est lui qui a proposé l’idée du drive-in à la mairie de Caen, dès le mois de mars, « en ayant pressenti que les salles seraient fermées pour une longue période, même après le confinement ». Le Lux fait des projections en plein air depuis 40 ans – on lui doit même des opérations ludiques telles que le pédalo-ciné ou des projections en piscine – et possède aujourd’hui quatre unités de projections et écrans gonflables. « Nous avons le savoir-faire et le matériel, et le drive-in, actuellement, est la seule façon de proposer des films sur grand écran : il présente l’avantage de confiner les gens tout en leur permettant malgré tout une expérience collective. » Et si l’impact carbone divise au sein même de l’équipe du Lux, « les gens viennent généralement au cinéma en voiture et nos salles elles-mêmes, entre cabines de projection et climatisation, sont très énergivores ».

Reste à savoir si l’opération sera viable pendant un mois. Organisée en partenariat avec la Ville de Caen, Radio 666 pour la fréquence FM et Caen Événements, qui met à disposition le lieu mais aussi son personnel, elle entre dans le compte d’exploitation du cinéma, qui délocalise sa billetterie et arrête le chômage partiel pour une part de ses salariés. Les places, au tarif de 20 euros par voiture (et non par personne), sont en vente en ligne pour la première semaine, les quatre suivantes étant en cours de programmation.

Des projets qui dérangent

On sait que le sujet divise au sein de la FNCF, qui a demandé récemment au CNC une application très stricte de la procédure d’autorisation de ces drive-in. Gautier Labrusse du Lux remarque qu’« on retrouve aujourd’hui face au drive-in le même type de réactions qu’au début de la crise avec la VOD, entre exploitants qui s’y sont farouchement opposés et d’autres, comme le Lux, qui ont tenté l’expérience de La Toile ou la 25e Heure ».
Pour lui, la médiatisation des drive-in, dans la période actuelle, est l’occasion de parler de la problématique des salles. « Et en tant qu’exploitants, nous avons évité que ces projets soient opérés par des structures d’événementiel étrangères au secteur ».
Car plus généralement sur les séances en plein air, ce sont toutes les séances non commerciales, autorisées par le CNC, qui gênent beaucoup d’adhérents de la FNCF, et cet été en particulier alors qu’on ne sait pas encore quand les salles pourront rouvrir. Si Gautier Labrusse ne pense pas qu’en temps normal, « le plein air concurrence les salles, qui sont beaucoup plus confortables », il reste plus nuancé pour la période de réouverture qui approche. « En tant que prestataire de projections plein air, je ferai très attention à ce que les projets se fassent en collaboration avec des exploitants ». Et le directeur du Lux dit partager l’avis de la Fédération sur le fait qu’il faut « avant tout travailler à recréer, chez nos spectateurs, la confiance dans la salle. Cet été, nous éviterons de faire du plein air à Caen, pour écarter toute forme de concurrence avec les autres cinémas de la ville. »

Projection Mondes & Multitudes, circuit itinérant de l’Aveyron, au château de Recoules, août 2019

Du côté des circuits itinérants, qui eux ne disposent pas de salles fixes mais travaillent étroitement avec les collectivités, il n’est pas question non plus de se désolidariser de la profession et « plein air ou pas, nous ne redémarrerons pas sans l’ensemble du secteur, distributeurs et exploitants », précise Anne Lidove, présidente de l’ANCI (Association nationale des cinémas itinérants) qui les fédère. « Nous sommes tous en contact avec des salles fixes à travers les associations régionales » et cet été pourrait être l’occasion, pour les itinérants, « d’organiser un événement de reprise du cinéma en partenariat avec les salles fixes qui le souhaiteraient, par des projections en extérieur, avec leur billetterie », indiquait-elle dans un courrier à la FNCF le 20 avril dernier.

Du plein air avec les salles

Ainsi, Rafael Maestro, le directeur de Ciné passion en Périgord et de Studio 53 à Boulazac – mais aussi président des Cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine et vice-président de l’AFCAE –  planche sur les « solutions alternatives » depuis la première heure. En Dordogne, où le cinéma plein air est une activité historique depuis 25 ans, Rafael Maestro privilégie toujours les projections avec transfert de billetterie. Il développe donc l’idée de créer un lien entre les 1 200 cinémas indépendants de France et la centaine de circuits itinérants pour organiser des projections plein air commerciales avec la billetterie des salles. Reste que le coût des prestations* constitue un frein majeur pour les exploitants. Pour le pallier, Rafael Maestro attend le retour des partenaires publics, ainsi que le « raccrochement des collectivités en manque d’animation qui pourraient remobiliser l’argent économisé sur les événements annulés (comme ceux du 14 juillet) pour les cinémas de leur ville. Cela ne va certes pas combler le manque à gagner, mais constituer un atout et mettre du baume au coeur des spectateurs comme des établissements. » Et aller dans le sens de la Fédération, qui souhaite que les collectivités concentrent l’argent public sur la réouverture des cinémas et s’engagent sur un plan de soutien des salles locales transmis au CNC. 

*Environ 3 000 euros pour une prestation de projection plein air « tout compris », entre 800 et 1 500 euros pour une prestation simple sans copie (en fonction du déplacement nécessaire, de la météo, des jauges…).

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