Des cinémas de proximité au cinéma financé par les plateformes : l’expertise d’Hexacom

Sophie Girieud et Florence Le Borgne, consultantes chez Hexacom © Boxoffice Pro

Le cabinet d’études, qui accompagne tant les exploitants privés dans leurs projets de cinémas que les collectivités dans leur politique culturelle, intervient plus largement auprès de tous les acteurs de la filière audiovisuelle. Aussi attentif aux effets de la réforme art et essai qu’à la place de Canal+ dans l’écosystème français, comme en ont témoigné deux de ses consultantes, Sophie Girieud et Florence Le Borgne, lors de l’Émission du 6 février.

Parmi les cinq collaborateurs du cabinet d’études fondé il y a près de 30 ans par Éric Lavocat – qui a récemment accueilli Julien Bourges –, Sophie Girieud travaille plus précisément auprès des acteurs de la petite et moyenne exploitation. Il s’agit beaucoup d’agrandissements de mono écrans – qui, pour rappel, représentent encore 54 % du parc –, souvent en gestion publique ou associative, et qui veulent « répondre à l’explosion des plans de sortie et à la demande des spectateurs, en ajoutant des écrans par une reconfiguration du site ou par une opération de transfert-extension ». Plus de salles, mais généralement plus petites, ce qui permet aussi « d’éviter l’effet “salle vide” », et plus confortables, dans une démarche générale de montée en gamme. Une autre tendance actuelle est d’insérer le cinéma dans un environnement culturel global, « pouvant inclure salle de spectacle, bibliothèque ou musée type microfolie »

 « Il est indispensable de repenser les modes de déplacement, en relocalisant l’offre auprès des habitants »
Sophie Girieud

Des cinémas qui accompagnent les évolutions environnementales et sociétales 

Chez les indépendants privés qui créent des complexes de 3 à 4 écrans, c’est « toujours en centre-ville ou à proximité, pour relocaliser l’offre auprès des habitants », précise Sophie Girieud, « ce qui répond à la volonté des collectivités de revitaliser les centres-villes, mais favorise aussi la décarbonation des transports ». Plus largement, de nombreux porteurs de projet essaient de s’inscrire dans une démarche Haute Qualité Environnementale (HQE) ou Bâtiment Basse Consommation (BBC), « sans forcément chercher la labellisation, longue et coûteuse, mais pour afficher leur ambition, notamment en CDACi. Les financeurs, comme la Banque des territoires, sont aussi sensibles aux projets vertueux ».Certes, les cinémas privés et publics n’ont pas les mêmes règles du jeu, ni les mêmes objectifs de rentabilité. Mais une délégation de service public revêt, par définition, « une dimension de service public culturel, qui passe aussi par la tarification ». On sait que certains gros circuits redoutent la dilution des entrées en voyant se multiplier les salles de proximité, et perçoivent leurs tarifs plus bas comme une forme de concurrence. Tout en reconnaissant les difficultés de la grande exploitation, la consultante d’Hexacom rappelle toutefois « qu’il est indispensable aujourd’hui de permettre l’accès du plus grand nombre au cinéma, et de repenser les modes de déplacement ».

Des prévisionnels dans le contexte post-crise… et de la réforme art et essai

Le potentiel des projets doit bien sûr être évalué dans le contexte post-covid, et désormais du niveau de fréquentation de 2024, qui se rapproche de la normalité pour la petite et moyenne exploitation. Autre critère : la subvention art et essai, qui peut avoir une part importante dans l’équilibre économique d’un cinéma, et soulève actuellement beaucoup d’interrogations. « Jusqu’à présent, nous arrivions à modéliser nos études en prévoyant ce qu’un cinéma pouvait obtenir. Avec la réforme, la nouvelle dimension qualitative, basée sur 17 critères, peut aller jusqu’à doubler le montant de l’aide… ou la réduire à zéro », constate Sophie Girieud. « Et aujourd’hui, nul ne sait comment les commissions art et essai vont s’emparer de ces critères. » 

Par ailleurs, léducation aux images est aussi une dimension intégrée dans les études de marchés, « puisqu’on tient compte des séances scolaires dans les revenus des salles, mais aussi dans les dépenses des collectivités, qui défendent avec force les dispositifs, mais ont de plus en plus de difficultés à financer les transports ». Et au-delà de leur rôle essentiel dans la formation des publics, « les dispositifs d’éducation sont importants aussi pour les distributeurs, et représentent une part importante de la fréquentation des films de patrimoine », note la consultante. 

… et une expertise apportée dès les tournages, jusqu’à la chronologie des médias

Hexacom analyse en effet l’ensemble de la filière, fort de l’expérience de ses consultants qui sont quasiment tous passés par l’Idate*. Florence Le Borgne y a dirigé le service des médias et travaillé plus largement sur les Industries culturelles et créatives. « Chez Hexacom, nous sommes sollicités par des Métropoles et Régions sur leur politique cinéma en général, de l’écriture – avec des résidences d’artistes – jusqu’à la diffusion, en passant par les tournages. » Si les retombées économiques de la production sont très fortes pour les territoires, « tant sur le tourisme que sur l’emploi », le soutien à la diffusion, qui concerne les salles, les festivals et l’éducation aux images, est difficile « dans un contexte de plus en plus mis à mal ».

« Canal+ pourrait réduire la voilure envers le cinéma, et la menace n’est pas anodine »
Florence Le Borgne

Quant à la diffusion sur les médias en général, Florence Le Borgne observe attentivement les négociations en cours autour de la chronologie, « chaque diffuseur essayant d’avancer sa fenêtre au plus près de celle de la sortie salle, celle qui donne le plus de valeur au film ». Les tensions sont devenues plus fortes entre télévisions et plateformes, dans un environnement plus complexe. « Auparavant, l’enchaînement des fenêtres était clair et identifiable par tous : télé payante, puis en clair, vidéo à la demande puis par abonnement…. Aujourd’hui, les réseaux et les écrans se confondent : la télévision se consomme sur les téléphones quand Netflix peut être reçu sur un téléviseur. Pour le consommateur, les écrans sont similaires, alors que chaque diffuseur a des obligations différentes. »

Parmi eux, évidemment, Canal+ est sous les feux. « Sa contribution au cinéma français représente la moitié du financement de l’ensemble des acteurs », rappelle l’experte, « ce qui permet une offre de films forte, mais a installé une forme de dépendance. » Une situation « qui peut se comparer à la position hégémonique que Canal avait sur les droits de la Ligue de football professionnel il y a quelques années, suite à la fusion de CanalSat et TPS ». La ligue a finalement morcelé les droits avec l’arrivée de nouveaux acteurs, « comme le fait le cinéma aujourd’hui, en diversifiant les sources de financement, notamment avec Disney ». Réagissant de son côté au récent accord passé entre Disney et la profession, Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, a lui-même fait le parallèle en rappelant que « Canal+ sait vivre sans le foot, mais la LFP vit beaucoup moins bien depuis que Canal+ n’investit plus dans le foot français ». On sait que le groupe pourrait « réduire la voilure » envers le cinéma, et « la menace n’est pas anodine » selon Florence Le Borgne, « sachant que Canal s’est retiré de la TNT et n’a donc plus les mêmes obligations. Le groupe peut aussi décider de séparer cinéma et sport dans son offre, et faire ainsi diminuer l’assiette sur laquelle sont calculés ses investissements dans les films français ».

Enfin, au-delà du financement, ces mouvements pourraient avoir des effets sur la nature des films elle-même. « Si jusqu’à présent, la somme des investissements de Disney, Netflix et Amazon réunis correspond à ce que fait TF1 à lui tout seul, les films que produisent ces plateformes ne sont pas les mêmes que ceux sur lesquels les acteurs français se positionnent. » Les films Canal sont vus avant tout en France, quand les géants américains de la SVOD entendent diffuser leurs contenus dans le monde entier, et donc faire des films « les plus consensuels possibles ». Si leur nombre d’abonnés et leur chiffre d’affaires augmente en France, ces Smad vont prendre plus de place dans le financement de la création, « et l’on peut craindre un impact sur la nature de l’offre et la diversité en salle ».

*filiale du Digiworld Institute, expert de l’économie du numérique

Article paru dans le Boxoffice Pro n°486 du 19 février 2025

Sophie Girieud et Florence Le Borgne, consultantes chez Hexacom © Boxoffice Pro

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