Le 23 janvier dernier, veille du Nouvel an chinois, les cinémas étaient contraints de baisser le rideau pour endiguer l’épidémie de COVID-19 et tiraient un trait sur la période de fréquentation la plus importante de l’année. Aujourd’hui, alors que la situation sanitaire commence à se stabiliser dans le pays, les salles rouvrent progressivement leurs portes, province par province, et doivent faire face à de nouveaux enjeux.
Au mois de janvier, l’épidémie de COVID-19 qui frappait la Chine n’était encore qu’une menace lointaine pour l’Europe. Après une année record au box-office, la fermeture des 70 000 cinémas du pays n’avait pas inquiété outre-mesure chez nous, même si l’impact commercial s’annonçait déjà retentissant pour toute l’industrie. En effet, le Nouvel an chinois est la plus importante de l’année et devait générer plus d’un milliard de dollars de recettes ; la Chine est également le second plus grand marché au monde et le premier marché d’exportation pour les films occidentaux.
Le 14 mars dernier, le cinéma Zhongying Golden Palm, situé au nord-ouest du pays, a été le premier à rouvrir ses portes, après cinquante jours de fermeture. Cependant, la journée de reprise a été particulièrement difficile : aucun spectateur n’a fait le déplacement pour voir les films patriotiques et les films d’animation proposés, malgré les places offertes aux abonnés et la mise en place d’un dispositif de distribution de masques et de désinfection des salles après chaque séance. Une question se pose alors : comment attirer à nouveau le public dans les salles et avec quels films ?
Dès le début de la crise, certains producteurs et distributeurs chinois ont fait le choix de rendre leurs blockbusters datés fin janvier directement disponibles en VOD. La société Huanxi Media a notamment opté pour une diffusion en ligne gratuite, sur plusieurs plateformes, de sa comédie populaire Lost in Russia ; de même pour Mega-Vision Pictures avec Enter The Fat Dragon, avec Donnie Yen. D’autres studios ont purement et simplement annulé leurs sorties : Beijing Enlight Media, premier producteur et distributeur du pays, n’a pour l’instant pas prévu de reprogrammer les sorties repoussées ou de reprendre ses tournages. Seuls les studios Hengdian, qui produisent 70 % des contenus télévisuels et cinémas du pays, ont repris une activité partielle des productions suspendues début février, selon des mesures de sécurité strictes. Ainsi, malgré la réouverture progressive des cinémas, aucun blockbuster n’est pour le moment daté et la pénurie de nouveaux films à venir risque donc de mettre les cinémas en danger.
Une offre de films en baisse
Pour le moment, ces derniers comptent sur les films populaires et les reprises pour attirer les spectateurs. Le principal distributeur chinois, propriété de l’État, prévoit de sortir onze titres ; actuellement, cinq sont à l’affiche dans toute la Chine : Capharnaüm de Nadine Labaki, qui avait engrangé 54 millions de dollars lors de sa première sortie dans le pays, et quatre blockbusters nationaux et patriotiques, dont Le Dernier Loup de Jean-Jacques Annaud, coproduction sino-française sortie en 2015, adaptée d’un roman majeur de la littérature chinoise. Parmi les six films suivants devraient figurer des productions américaines, notamment Green Book : Sur les routes du Sud de Peter Farrelly, Oscar du meilleur film en 2019. Les autorités chinoises comptent donc sur des films familiers ou porteurs d’une idéologie forte pour attirer plus facilement le public et minimiser les risques financiers. Les cinémas, encouragés à maintenir des tarifs bas voire à organiser des séances gratuites, pourront en contrepartie garder la totalité de leurs recettes, les distributeurs ayant accepté de renoncer à leur part pour favoriser la reprise économique des salles. Les quotas visant à limiter la diffusion de productions non nationales (34 films étrangers par an) pourraient également être revus à la hausse, au moins le temps que les salles se refassent une santé : ainsi, Harry Potter à l’école des sorciers bénéficiera d’une sortie en version 3D et 4K dans toute la Chine. Certains films étrangers ayant réussi l’épreuve de la censure avant la fermeture des salles pourraient également retrouver le chemin des salles dans les prochaines semaines comme Jojo Rabbit, Sonic le film, L’Appel de la forêt ou 1917. Le contexte exceptionnel pourrait ainsi ouvrir la voie d’une ouverture vers l’Ouest, d’une diminution des quotas et d’un développement des coproductions internationales, pour faciliter l’accès aux films étrangers.
Des spectateurs à rassurer
Pour autant, les spectateurs sont-ils déjà prêts à retourner au cinéma ? Pour rassurer la population, les salles ont prévu un plan de prévention contre l’épidémie et des mesures drastiques de désinfection et de protection du public : relevé d’identité, port de masque permanent… De même, les mesures de distanciation sociale sont toujours en vigueur et les places vendues doivent respecter les espacements réglementaires. Chez Wanda Cinemas, le premier circuit du pays, certaines promotions permettent d’accéder à des séances gratuitement pour deux pots de pop-corn achetés ou de voir cinq films à prix réduit dans une même journée pour les abonnés.
En 2003, après l’épidémie de SRAS, les spectateurs chinois étaient rapidement retournés au cinéma, mais les services de streaming n’existaient pas encore et le piratage ne représentait pas la même menace. Pour 2022, les distributeurs envisagent une perte de 9,8 milliards de dollars de recettes du seul fait du piratage, alors que le box-office a atteint les 9,2 milliards en 2019. Hiu Man Chan, universitaire et spécialiste du marché chinois invitée au CJ Summit le 19 mars dernier, se veut rassurante : « Les gens ont été confinés et veulent à présent sortir. Nous devons les encourager pas à pas. »
Partager cet article