Soigneux de ses spécificités, le réseau art et essai concrétise sa réflexion autour de l’engagement écologique de la salle avec un projet destiné à devenir le premier cinéma à énergie positive de France.
« Utopia a toujours une image de cinéma un peu vieillot et atypique. Et si l’innovation, c’était de protéger la planète ? », interpelle Anne Faucon. La directrice adjointe du cinéma Utopia Tournefeuille, dans la banlieue toulousaine, est aussi responsable du projet de Pont-Sainte-Marie dans le nord de Troyes. « Nous sommes reconnus et identifiés par les valeurs que nous avons développées au fil du temps, avec des cinémas qui réalisent plus de 80 000 entrées annuelles sur des programmations composées jusqu’à 95 % de films classés. Nous savons aussi fonctionner dans la ruralité. » Vertueux sur le plan de l’art et essai et de la proximité, Utopia veut l’être tout autant sur l’écologie à Pont-Sainte-Marie, avec un cinéma de quatre salles « de taille modeste » (dont une consacrée à l’éducation à l’image) et 300 places, proposant aussi une tartinerie/bar à soupe et un coin cheminée « non marchand », insiste Anne Faucon.
Un défi multiple
Le projet d’implantation est impulsé par une élue de Troyes, qui crée un collectif de cinéphiles réclamant la création d’un cinéma art et essai dans la ville et dont la pétition rassemblera 2 000 signatures. Si la mairie, dirigée par François Baroin (LR), n’est pas intéressée, la municipalité frontalière de Pont-Sainte-Marie ouvre ses portes à Utopia. Cette commune de 5 000 habitants, « qui essaie de ne pas devenir une cité dortoir », est en outre caractérisée par la faible représentation des catégories socio-professionnelles les plus consommatrices de cinéma (avec une moitié de la population exonérée de la taxe d’habitation). « Dans ce secteur peu favorable au cinéma, on va montrer que l’on peut faire de l’art et essai ! », avec les tarifs « démocratiques » qui caractérisent Utopia.
Or, au défi social s’ajoute le défi écologique, puisque le projet de cinéma intègre celui de tout un éco-quartier, sur un ancien camp militaire, dans un quartier prioritaire classé zone difficile destiné à accueillir de nouveaux habitants (900 supplémentaires).
L’écologie pionnière
Matériaux bio-sourcés et en circuits courts, panneaux solaires, cheminée-poêle, gestion raisonnée de l’eau potable… Tout dans la conception du bâtiment s’inscrit dans une démarche vertueuse poussée à son paroxysme, impliquant une collaboration assidue entre les architectes, maîtres d’œuvre et autres spécialistes. « L’ensemble de l’équipe qui travaille sur le projet doit changer de paradigme, collaborer en amont et sortir de sa zone de confort. » Alors le béton, hors de question ! « Certes, il est plus cher de construire en bois ─ environ 20 % de coûts supplémentaires et des murs de 50 cm au lieu des 32 cm habituels du béton ─, mais les économies se répartissent sur les autres postes, comme celui de l’isolation qui est spontanément meilleure dans les structures en bois remplies de paille. »
Soucieux de rationaliser chaque mètre carré, le cinéma propose des salles dont le gradinage épouse la pente naturelle du terrain ; elles sont équipées en projecteurs laser, qui sont moins énergivores et diminuent les besoins en climatisation et extraction d’air chaud.
Ici, même le petit coin promet de soulager la planète, grâce à une installation de toilettes sèches et leur salle inférieure de compostage. Un dispositif qui a fait ses preuves dans une école maternelle « dans laquelle on a même pu observer une baisse de 80 % de l’absentéisme, notamment dû aux maladies contagieuses ! », note Anne Faucon. Le bâtiment positif en énergie, qui recourt à la géothermie procurée par les nappes phréatiques très proches ainsi qu’à des miroirs chauffants installés dans le bâtiment, promet de faire de multiples économies en frais de fonctionnement. La responsable compte par ailleurs sur l’obtention de plusieurs labels écologiques de HQE (haute qualité environnementale) et sur des aides particulières, comme celle de la Compagnie générale des eaux, qui peuvent sponsoriser les toilettes sèches.
L’expérience du partage
« Il n’y a finalement ici aucune invention en soi, juste la volonté de conjuguer tous les leviers écolo-responsables », précise la responsable du projet. « Aucun autre cinéma en France n’a poussé l’expérience aussi loin. » Et fidèle à l’esprit qui l’anime depuis 43 ans, Utopia compte bien la partager, présentant son éco-cinéma comme un projet open source qui se veut aussi un modèle pour les autres. « Nous ne le faisons pas pour la gloire, mais pour le partage. »
Le coût de construction du bâtiment de 800 m² est évalué à 2,5 millions d’euros tout compris, dont le bistro et les frais de démolition, soit un budget de 4 500 euros par siège. Une étude de marché réalisée par un bureau d’étude indépendant prévoit entre 85 000 et 105 000 entrées annuelles. « L’Aube est un département en déficit de cinémas, notamment art et essai. On ne déstabilisera pas les autres établissements », estime enfin Anne Faucon en se référant au CGR Troyes Ciné City de 14 salles mais surtout aux autres petits cinémas art et essai de la région, l’Eden à Romilly-sur-Seine et Le Vagabond à Bar-sur-Aube, qui sont à plus de 40 minutes de Pont-Sainte-Marie et avec lesquels Utopia compte bien collaborer.
« Le projet est légitime », assure Anne Faucon qui, face au manque actuel de soutien de certaines institutions, prévoit de faire rentrer les spectateurs dans son financement. La forme juridique de la SAS (société par action simplifiée) sera ainsi transformée dans un second temps en SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) : « Utopia est représentative de cette solidarité environnementale comme économique ; le projet n’en sera que plus exemplaire. » Le dépôt de permis de construire est planifié pour février 2020, pour une ouverture espérée début 2021.
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