Regarde les graines pousser – Rencontre avec Ava Cahen

© Aurélie Lamachère

À l’été 2021, Ava Cahen est devenue déléguée générale de La Semaine de la Critique, dirigée pendant dix ans par Charles Tesson. Pour sa quatrième édition, celle qui est aussi co-rédactrice en chef de FrenchMania et chroniqueuse au Cercle sur Canal+ entend poursuivre le travail de découverte de premiers et deuxièmes films cher à la Semaine.

64e édition et toujours toutes ses dents pour La Semaine de la Critique, qui accompagne depuis 1962 les premiers et deuxièmes longs métrages. Pour Ava Cahen, il s’agit d’ailleurs de « la seule ligne éditoriale », tant la sélection se doit de révéler « les nouvelles voix et les nouveaux cinéastes qui émergent », comme elle l’a fait pour Jacques Rozier, Ken Loach, ou encore Jacques Audiard à leurs débuts. Pour cette nouvelle sélection, Ava Cahen note « de nombreux films traversés par des enjeux sociaux et sociétaux ou encore l’avenir de la planète, mais qui restent lumineux ». La Belgique sera bien représentée avec trois réalisatrices : Laura Wandel pour L’Intérêt d’Adam, Alexe Poukine pour Kika et Pauline Loquès pour Nino. La déléguée générale relève également que, « pour la deuxième édition consécutive, un documentaire sera présenté » en la présence de Imago de Déni Oumar Pitsaev, cinéaste d’origine tchétchène basé à Paris. Deuxième présence consécutive également d’un film taïwanais, avec Left-Handed Girl de Shih-Ching Tsou, monté par… Sean Baker, la réalisatrice taïwanaise étant de son côté la monteuse du cinéaste oscarisé et palmé. Enfin, la Semaine se conclura avec Planètes de Momoko Seto, « une nouvelle odyssée animée à Cannes, après Flow, qui nous fait vivre tout un tas d’émotions à travers… des pissenlits ». 

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« Nous sommes là pour poser les graines avec les cinéastes »

Pour Ava Cahen, la Semaine de la Critique réalise d’abord « un travail de prospection avant la sélection », en se rendant aux quatre coins du monde pour « capter les tendances ». Il s’agit notamment de découvrir de jeunes talents inconnus dans des ateliers et de suivre l’évolution de ces noms. Le comité de sélection est aussi attentif aux films qui « sortent de terre », des œuvres en cours de réalisation qu’il découvre dans des festivals, à l’instar de Tiger Stripes de la Malaisienne Amanda Nell Eu, Grand prix de l’édition 2023. « Nous sommes bien conscients que ces films constituent des terrains intimes, et parfois des terrains sociaux et/ou sociétaux très intenses, d’où l’importance de ne jamais partir avec des attentes, explique Ava Cahen. Car à la fin, tout est une question de qualité. » Une mission d’ouverture sur le monde qui se traduit par les 102 pays représentés, après plus de 1 000 films visionnés cette année par le comité de sélection. 

Le comité de sélection de la Semaine de la Critique 2024. De gauche à droite : Olivier Pélisson, Damien Leblanc, Ava Cahen, Perrine Quennesson, Marilou Duponchel et Frédéric Mercier. © Julia Hervouin – Semaine de la Critique

De l’autre côté du spectre, la Semaine propose un atelier Next Step, où des cinéastes passant du court au long métrage et concrétisent leurs projets à travers des échanges avec des professionnels. Une action reproduite en Corse avec des compositeurs, pour « aider les cinéastes à trouver la couleur musicale de leurs films ». Ainsi, en plus de dix ans, près de 40 longs métrages ont vu le jour, parmi lesquels How to Have Sex de Molly Manning Walker (Prix Un Certain Regard en 2023), Les Colons de Felipe Gálvez (Prix Fipresci Un Certain Regard en 2023) ou encore Aisha Can’t Fly Away Anymore de Morad Mostafa (sélection Un Certain Regard cette année). « D’une certaine manière, nous sommes là pour poser les graines avec les cinéastes, expose la déléguée générale. Puis, nous accompagnons la poussée organique. »

Les films de la Semaine de la Critique effectuent leur première mondiale sur la Croisette et Ava Cahen est bien consciente de cette « grande responsabilité ». Car des cinéastes souvent jeunes et à la filmographie naissante nécessitent un accompagnement spécifique passé l’euphorie cannoise. Cinq reprises de la sélection sont ainsi effectuées : à la Cinémathèque française, la Cinémathèque corse, à Marseille et à Nice, ainsi qu’au Festival international du film de Morelia, au Mexique. De nombreuses actions ont aussi été mises en place ces dernières années pour ouvrir encore plus les films de la Semaine au public, notamment par l’éducation à l’image. Collégiens, lycéens et apprentis découvrent ainsi plusieurs films de la sélection, et peuvent ensuite en discuter et participer à des ateliers d’écriture de critiques. Un partenariat a également été mis en place, il y a huit ans, avec l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj), permettant à des lycéens français et allemands d’aller à Cannes, de découvrir les films de la Semaine et de participer à plusieurs ateliers.

Federico Luis, lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique 2024 pour Simón de la montaña, lors de la cérémonie de clôture. © Julia Hervouin – Semaine de la Critique

Ouvrir à la critique

Si ces ateliers participent à l’éducation à l’image, ils sont aussi un moyen de mettre en avant le métier de critique de cinéma. Pour rappel, le comité de sélection de la Semaine – créée par le Syndicat français de la critique de cinéma – est toujours composé uniquement de critiques. Un avantage, pour Ava Cahen, car « le critique a une expertise de l’histoire du cinéma, et est donc plus sensible aux nouvelles formes, à ce qui est décalé ». Pour autant, la déléguée générale tient à éloigner l’image de « donneur de leçon » que ce métier peut avoir : « Au sein d’une offre cinématographique pléthorique, le critique permet d’y voir plus clair, car sa principale question est de savoir comment toucher des lecteurs qui seront bientôt des spectateurs. Et donc, parfois, son devoir est d’expliquer pourquoi il n’a pas aimé telle œuvre, mais il n’en reste pas moins un allié des films. » Et si la critique constitue « une activité plutôt solitaire », elle peut régulièrement s’organiser en salles, autour de films anciens comme actuels : « J’ai personnellement voulu faire ce métier en fréquentant des ciné-clubs présentés par des critiques, confie Ava Cahen. C’est à ce moment que j’ai compris son rôle de passeur, et l’atout qu’il représente pour connecter un film avec un public. »

Article publié dans le Boxoffice Pro n°492 du 11 mai 2025

Les dix derniers Grand prix de la Semaine de la Critique

2014 : The Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy (Ukraine)
2015 : Paulina de Santiago Mitre (Argentine)
2016 : Mimosas, la voie de l’Atlas d’Oliver Laxe (Espagne, France, Maroc, Qatar)
2017 : Makala d’Emmanuel Gras (France)
2018 : Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (Brésil, France, Portugal)
2019 : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (France)
2021 : Plumes d’Omar El Zohairy (Egypte)
2022 : L’Eden d’Andrés Ramirez Pulido (Colombie)
2023 : Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu (Malaisie)
2024 : Simon de la montaña de Federico Luis (Argentine)

© Aurélie Lamachère

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