Au-delà de l’accessibilité des salles et des films, l’accessibilité aux métiers du cinéma reste encore difficile. Mais les choses bougent, comme en a témoigné la rencontre organisée à Cannes par le Syndicat des professionnels du cinéma en situation de handicap (SPCH), accueillie par la CST.
« Je tenais à ce que cet événement ait lieu sur la Croisette, lors de la grande fête mondiale du cinéma », souligne Julien Richard-Thomson, réalisateur et président du SPCH, au sujet de la première édition des Écrans inclusifs. Car rien ne vaut la visibilité du tapis rouge cannois, notamment pour les acteurs : celle de l’équipe de Un p’tit truc en plus l’an dernier ou de la comédienne en fauteuil Léopoldine Huyghues-Despointes, particulièrement médiatisée cette année, mais qui depuis 16 ans se fait porter pour monter les marches. « On ne peut pas me le refuser », a-t-elle remarqué, précisant qu’il a quand même fallu attendre 2025 pour que le Festival organise l’accueil de professionnels à mobilité réduite. Et si la comédienne tourne beaucoup à l’international – depuis son premier rôle à 18 ans aux côtés de Brady Corbet, dans Atlantic Avenue de Laure de Clermont-Tonnerre, jusqu’au prochain film du Cubain Juan Carlos Tabío –, c’est au terme d’un combat acharné auprès des studios.
De son côté Charles Peccia-Galletto, premier acteur en situation de handicap à avoir été présélectionné au César de la révélation masculine pour Mon inséparable, témoigne pourtant de sa difficulté à obtenir des rôles… « surtout quand le handicap n’est pas le sujet du film ». Et même quand c’est le cas, les rôles sont souvent tenus par des acteurs dits “valides” – comme dans De rouille et d’os ou Intouchables. La situation a évolué, mais peu pour le handicap invisible. « Cela représente pourtant 80 % des personnes en situation de handicap selon l’Agefiph*, auxquelles on ne propose ni des rôles d’handicapés – puisque cela ne se voit pas –, ni de caissière ou de postier », souligne Olivier Couder, directeur de l’Agence – et du Théâtre – Cristal. Il existe en effet aujourd’hui des agences de casting spécialisées, qui mettent en avant la singularité de leurs comédiens comme une force.
*Selon l’Agefiph (Association pour la gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), 1 Français sur 2 connaîtra le handicap au cours de sa vie, de manière ponctuelle ou définitive.

Un accompagnement sur les tournages…
Reste que cette singularité doit être accompagnée lors des tournages. Margault Algudo-Brzostek a ainsi détaillé son poste de “coordinatrice régie handicap”, un métier « qui n’existe pas » mais qu’elle a exercé les plateaux de Un p’tit truc en plus et Mon inséparable, forte de sa double expérience d’éducatrice spécialisée et de régisseuse cinéma. Elle travaille actuellement à la rédaction d’une certification à part entière, comme cela a été fait pour les coordinateurs d’intimité, sachant que son poste, aidé par l’Agefiph, « n’a rien coûté à la production ». En outre, les aménagements proposés sur un tournage – moins de bruit, plus de temps de repos… – bénéficient à l’ensemble des équipes. Il en va de même pour les techniciens : concevoir des caméras moins lourdes ou des perches plus courtes profiterait à tous – comme la télécommande, pensée au départ pour les personnes handicapées et devenue universelle.
Autant de sujets qui mériteraient un référent diversité/inclusion à toutes les étapes d’une production, mais aussi d’être abordés dès les écoles de cinéma. Pour le journaliste Pierre Guennaz, le passage par Jaris, le seul centre de formation en France à accompagner l’insertion dans les domaines des médias, du cinéma ou du jeu vidéo, a été une bien meilleure entrée dans le monde du travail que son master à l’ESJ.
… et dans tous les métiers
La formation et l’insertion est aussi l’une des missions de la Fondation Perce-Neige, qui, pour rappel, porte un projet de centre culturel inclusif à Boulogne-Billancourt, dans l’ancien Théâtre de l’Ouest parisien. « Nous voulons que ce soit un lieu de rencontres, qui comprendra 4 salles de cinéma, mais aussi un restaurant et un centre de formation », explique Jérôme Velin, directeur de projet de la Fondation, qui travaille ici avec la Mairie et la Fondation Culture et Handicap – présidée par Julien Marcel. 70 emplois sur 100 seront occupés par des personnes avec handicap mental et cognitif, « mais ce sera pour eux un passage, afin d’accueillir régulièrement les nouvelles générations ». Le lieu devrait ouvrir en 2027… et confirmer que tous les métiers du cinéma peuvent être plus inclusifs : des agents d’accueil aux community managers, en passant par les personnels administratifs.
Si ce projet de Boulogne est soutenu par l’appel à projets du CNC “Les uns et les autres”, il existe d’autres dispositifs d’aide, souvent méconnus. Pour Pascal Parsat, expert handicap-diversité-inclusivité chez Audiens, « les employeurs ne doivent rien s’interdire : nous sommes là pour apporter des réponses et trouver des lignes de financement. Il faut être prêt pour la génération qui arrive, qui veut s’insérer dans un vrai parcours professionnel ». L’Afdas accompagne aussi les professionnels à travers son “appui conseil-carrière”. S’exprimant en visio depuis Paris, la ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, a de son côté annoncé la tenue d’une commission nationale Culture et Handicap dans les prochains mois, pour réunir professionnels, usagers et associations.
D’autres pistes ont été lancées par les intervenants, comme la création d’un bonus aux aides du CNC pour les projets inclusifs, qui viendrait compléter les aides sélectives, et l’ajustement du régime des intermittents pour les techniciens et artistes handicapés, largement débattu et dont le SPCH espère une prochaine concrétisation. Car malgré les freins, le regard, le discours et les actes ont nettement évolué. Les Écrans Inclusifs n’est d’ailleurs pas un événement ponctuel, indique Julien Richard-Thomson, « puisqu’un comité de suivi va faire un travail de veille toute l’année, en attendant la seconde édition, au Festival de Cannes 2026 ».
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