D’après l’Autorité de la Concurrence, la numérisation des salles de cinéma est un objectif d’intérêt général qui justifie sans doute une intervention publique. Cependant, concernant le Fonds de Mutualisation, elle est d’avis qu’il faut rechercher des solutions alternatives qui permettraient d’atteindre ce même objectif de façon plus économique et moins restrictive de concurrence.
Communiqué – La numérisation des salles de cinéma est un objectif d’intérêt général qui justifie sans doute une intervention publique.
Cependant, l’Autorité de la concurrence est d’avis qu’il faut rechercher les voies les moins restrictives de concurrence
et fait des propositions dans ce sens. L’Autorité de la concurrence a été saisie en octobre dernier par la ministre chargée de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, afin d’examiner un dispositif de soutien financier proposé par le Centre national de la cinématographie et de l’image animée (ci-après « CNC ») pour l’équipement numérique des salles de cinéma.
La numérisation des salles de cinéma
Le développement du cinéma numérique va transformer profondément l’industrie du cinéma et conduire à une réorganisation complète de la filière. Le but de la projection numérique est de dématérialiser la distribution des films en salle. L’équipement d’une salle de cinéma en projecteurs numériques permet le passage de la copie argentique, coûteuse à produire et à transporter, à la copie numérique, aisément réplicable et transportable.
Les avantages et les coûts qu’entrainera cette révolution technologique se répartissent très différemment selon les différents niveaux de la filière : les investissements vont être supportés par les exploitants et les gains en résultant vont être, pour l’essentiel, captés par les distributeurs. Cette situation a conduit à l’émergence d’un nouveau marché du financement de l’équipement numérique des salles, confiant à des intermédiaires – les tiers investisseurs – la mission de transférer partiellement aux exploitants, pour leur permettre de financer en partie les investissements de la projection numérique, les économies obtenues par les distributeurs sur le tirage de copies.
Cependant, une partie des salles ne sera pas en mesure de financer l’équipement numérique et ne sera pas non plus en mesure de faire appel aux tiers investisseurs, la nature et le volume de leur programmation (nombre de films diffusés en exclusivité en première semaine) ne coïncidant pas avec la viabilité des modèles mis en place par ces intervenants privés.
Pour répondre à cette difficulté, le CNC a prévu de mettre en place un fonds de mutualisation, fonctionnant sur le modèle des tiers investisseurs, qu’il gérerait directement et qui aurait pour mission de collecter auprès des distributeurs une contribution (VPF, ou « frais de copie virtuelle ») qui servirait à financer à hauteur de 75% les investissements des exploitants de salles. Le fonctionnement du fonds devrait être équilibré financièrement, et chaque exploitant devrait pouvoir choisir entre l’offre du CNC et l’offre des tiers investisseurs.
Le projet du CNC correspond à un objectif d’intérêt général, auquel le marché du financement du cinéma numérique par les tiers investisseurs ne semble pas pouvoir répondre de façon satisfaisante. Cependant, l’intervention directe du régulateur sectoriel est de nature à créer d’importantes distorsions de concurrence, voire à éliminer toute concurrence sur le marché du financement du cinéma numérique.
En effet, en créant un fonds de numérisation s’adressant à l’ensemble des salles, hors marché ou non, le CNC répondra à la même demande que celle aujourd’hui servie par les tiers investisseurs et sera en concurrence directe, pour une large part de son activité, avec ces opérateurs privés.
Or, le CNC est un régulateur sectoriel, qui dispose de pouvoirs réglementaires, collecte des taxes, distribue les aides du fonds de soutien, essentielles au financement de toute l’industrie du cinéma. Son intervention sur un marché concurrentiel est de ce fait de nature à créer d’importantes distorsions de concurrence, voire à éliminer toute concurrence, sur le marché du financement de l’équipement numérique des salles.
En effet, quelles que soient les précautions qui pourraient être prises, le fonds géré par le CNC conserverait un avantage déterminant sur ses concurrents découlant de ses liens avec le régulateur sectoriel et de la garantie de l’État attachée au fonds de mutualisation.
Par ailleurs, le mode de gestion du fonds, en concertation avec l’ensemble de la profession, crée un risque d’imposer à l’ensemble des acteurs un montant de « frais de copie virtuelle » ( VPF) déconnecté du marché, induisant de ce fait un montant d’aides d’Etat supérieur à ce qui est actuellement prévu.
C’est pourquoi, sans renoncer à l’objectif d’intérêt général, l’expertise de solutions alternatives, qui permettraient d’atteindre ce même objectif de façon plus économique et moins restrictive de concurrence, est nécessaire.
Le droit communautaire comme le droit national accepte les distorsions de concurrence indispensables pour assurer la viabilité d’un projet répondant à un objectif d’intérêt général, sous la condition cependant que ces atteinte soient proportionnées à l’objectif poursuivi et qu’il n’existe pas d’autre moyen permettant d’atteindre cet objectif dans des conditions économiques plus acceptables, en faussant moins la concurrence.
L’Autorité estime dans cette perspective qu’une solution consistant en des aides directes, partiellement attribuées via un mécanisme d’appel d’offres, financées par une taxe sur les copies numériques, pourrait constituer une alternative méritant d’être évaluée. Ce mécanisme parait neutre d’un point de vue concurrentiel, neutre pour les finances publiques et permettrait de cibler au mieux la défaillance de marché à laquelle l’intervention publique souhaite remédier. Il apparaît moins lourd à mettre en place que le fonds de mutualisation, correspondrait mieux au mode d’intervention usuel du CNC et permettrait de préserver le principe de solidarité auquel le CNC est légitimement attaché.
Il n’appartient toutefois pas à l’Autorité de trancher cette question, qui relève en premier lieu de l’expertise du CNC, et de l’appréciation des pouvoirs publics, sous le contrôle le cas échéant du juge administratif et de la Cour de Justice de l’Union européenne.
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