
Plus de 400 participants se sont retrouvés lors des 10es Rencontres du cinéma indépendant. Paris, réforme ou encore RSE étaient au programme de l’événement concocté par le Syndicat des distributeurs indépendants (SDI) avec les exploitants indépendants, notamment du Scare et de l’Acrif.
Habituées à se dérouler deux années de suite dans la même ville, les Rencontres ont fait une entorse à leur règle pour cette édition anniversaire, en se délocalisant de Marseille à la capitale. Au total, quatre lieux ont été mobilisés : le Louxor, le Cinéma des Cinéastes, la Fémis et le Méliès de Montreuil. L’attente était d’autant plus grande que l’événement proposait deux interventions inédites : l’une avec Laurence Franceschini, la médiateure du cinéma, et Sophie Cazes, déléguée pour la mission Cinéma de la Ville de Paris, autour du marché parisien, et l’autre avec Lionel Bertinet, directeur du cinéma au CNC, pour évoquer les contours de la réforme de la distribution et revenir sur les principaux axes de travail avec le Centre.

Un écosystème parisien sous tension
Avec ses quelque 80 cinémas et 17,4 millions de tickets en 2024, la capitale reste un marché incontournable, qui représente parfois la moitié des entrées des films fragiles ou de répertoire. Et, comme le précise Jean-Fabrice Janaudy, gérant des Acacias, « ce marché est également une vitrine et un levier de programmation pour toutes les salles au-delà de Paris ; d’où l’importance d’y être bien exposé ». C’est donc logiquement que Sophie Cazes est intervenue pour présenter l’écosystème parisien, caractérisé comme un « tissu vivant », à travers les nombreux établissements qui devraient très prochainement (re)voir le jour : La Clef (5e arrondissement), le Saint-Germain-des-Prés (6e), le CiNey (18e) et la Pagode qui sera le seul site du septième arrondissement. Les projets du Tapis Rouge (10e), de l’Étoile Voltaire (11e) et de l’Ordener (18e) sont en revanche en “pause”. Pour la déléguée de la mission Cinéma de Paris – en poste depuis cinq mois et le départ à la retraite de Michel Gomez –, cette diversité illustre l’ambition de la Ville, qui veut que « chaque arrondissement soit doté d’un cinéma, afin que chaque spectateur puisse se retrouver à travers l’offre proposée ». C’est dans cette même perspective que Paris alloue 900 000 € de subventions à une trentaine de salles au total, et applique une politique « incitative, et parfois pénalisante pour les sites que l’on estime ne pas être assez dynamiques ».

Toutefois, cette densité a ses revers. Bien que Paris joue « un rôle singulier pour la diversité », la ville « n’est pas un monde à part », affirme Laurence Franceschini. La médiateure observe plusieurs évolutions, notamment sur la notion de quartier : « C’est un aspect très important dans la médiation car elle définit la zone de concurrence, et je me demande si, compte tenu de la mobilité à Paris, elle a encore un sens. » Autre changement mis en valeur par les indépendants, l’élargissement – « parfois excessif » – des plans de sortie, impliquant moins d’espace pour certains films : depuis 2022, 15 sorties n’ont pas trouvé leur place au sein des salles parisiennes, mais ont pourtant été distribuées ailleurs sur le territoire. La médiateure a ainsi exposé que la majorité des saisines sur la capitale depuis 2021 viennent des distributeurs. Et en 2024, ils sont à l’origine de 7 des 14 des saisines totales au niveau national. Laurence Franceschini s’étonne donc d’observer que, depuis le début de l’année, une seule médiation concerne Paris : « Peut-être que cela signifie que tout va bien, mais je n’en suis pas sûre. Il y a sans doute une réticence, voire un découragement à saisir la médiation. » Pour Lucie Commiot, directrice de la distribution de Condor et coprésidente du SDI, il s’agit sans doute d’une conséquence du faible délai entre la confirmation du nombre de copies d’un film et sa sortie.
Étienne Ollagnier, coprésident du SDI et gérant de Jour2Fête, a quant à lui appelé à la création de médiations entre distributeurs, notamment quand certains films sont datés entre quatre à six semaines avant leur sortie, pénalisant les autres s’étant positionnés bien avant. Une proposition saluée par Laurence Franceschini, qui rappelle toutefois qu’une modification du code du cinéma est nécessaire pour que lui soit conférée « une réelle compétence sur les litiges entre distributeurs ». Elle explique aussi avoir reçu des demandes de médiation de la part d’exploitants qui se plaignent du faible nombre de films proposés actuellement. Une situation qui, pour Lucie Commiot, est due à la saturation des sorties art et essai entre septembre et décembre : « Il y a toujours l’idée que les films cannois qui sortent entre janvier et mai sont des offres moins fortes. Or, il faudrait arriver à les étaler sur toute l’année. »
Et si l’offre vient parfois à manquer, elle manque aussi de diversité, même à Paris. Stéphane Auclaire, cofondateur d’UFO, explique avoir calculé au début du mois que, au nord de Paris – soit un bassin de 650 000 habitants –, seuls 19 films de première exclusivité étaient diffusés sur un total de 100 écrans. À l’inverse, au centre-ville de Nancy, pour une trentaine de salles et 110 000 habitants, 23 sorties étaient disponibles. Ce constat interpelle Laurence Franceschini qui se prononce, avec Sophie Cazes, en faveur d’une étude globale sur le marché parisien, supervisée par le CNC. Une initiative approuvée par Lucie Commiot, qui souhaiterait également « comparer la moyenne par séance des films indépendants par rapport à d’autres en saturation d’exposition. Cela pourrait peut-être donner envie à des exploitants de mieux programmer ces sorties ».
La distribution à l’heure de la réforme
La rencontre avec les pouvoirs publics était une opportunité pour les participants de découvrir les contours de la future réforme de la distribution. Ce texte, qui doit être examiné par le CNC le 26 juin, vise à mieux articuler les aides au secteur, après « une prise de conscience que la distribution est, si ce n’est le maillon le plus fragile, celui le plus en risque de la filière ». Le déplafonnement du soutien automatique – qui constitue une demande de longue date de la part de la FNEF – devrait concerner avant tout les films « du milieu », donc réalisant entre 200 000 et 500 000 entrées, tandis que les aides sélectives devraient prendre en compte « non plus uniquement la qualité artistique du film, mais aussi son intégration dans une stratégie de distribution ». L’aide à la structure devrait également être « renforcée », afin de permettre aux distributeurs « d’organiser leur activité pour leur assurer une pérennité ». Le jeune public, le documentaire et le patrimoine seraient également au programme de cette réforme qui, « on l’espère, ne laissera de côté aucun distributeur », assure Lionel Bertinet.

Interrogé par Étienne Ollagnier sur la forte concentration de la programmation, le directeur du cinéma a d’abord rappelé l’application de la pondération des séances dans le cadre de la réforme art et essai, une mesure jugée incitative en faveur de la diversité. Il a ensuite mis en avant la publication, juste avant Cannes, de nouvelles lignes directrices sur les engagements de programmation : « Notre urgence, maintenant, est de faire en sorte que chacun des opérateurs soumis à ces engagements les respecte d’ici l’automne prochain, voire que nous procédions à des sanctions si nous remarquons des manquements. » Lionel Bertinet a également souligné le travail du nouveau comité de concertation – composé de sept distributeurs et sept exploitants –, dont l’objectif est de produire « des recommandations de bonnes pratiques qui permettent de changer les comportements des exploitants et des distributeurs ». Et si aucune solution n’émane de ces échanges, « il faudra que le CNC réfléchisse à des outils réglementaires un peu plus coercitifs ». Pour l’heure, les travaux de ce comité ne déboucheront pas sur des obligations, et ce bien que plusieurs voix se soient élevées durant la rencontre pour dénoncer des « pratiques agressives » entre distributeurs, ou des « déprogrammations sauvages » de la part d’exploitants avant le lundi.
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Prolonger l’initiation à la data et à la RSE
Dans la continuité du précédent Sommet des Arcs [voir le Boxoffice Pro du 8 janvier 2025], ces Rencontres du cinéma indépendant, toujours organisées avec le renfort d’Anne Pouliquen, se sont attachées à présenter différents outils pouvant faciliter la tâche des indépendants. L’atelier sur la data, animé par les agences Targett et Diversification, a ainsi proposé aux distributeurs de construire un plan marketing. L’exercice était complexifié par des contraintes (acteurs indisponibles, propos polémiques d’un cinéaste…) ; une manière concrète d’initier à une communication digitale devenue incontournable (la part de ses dépenses a augmenté de 16 % depuis 2020), mais dont les codes restent difficiles à maîtriser.

Le traditionnel Café des indés s’est quant à lui concentré sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
- L’Acid a poursuivi la discussion qu’elle a entamé au Sommet des Arcs autour de la santé mentale des indépendants, et a souligné l’absence de syndicats identifiés pour accompagner autour de ces questions, ainsi que la nécessité de mettre en place des relais à différentes échelles. Des formations spécifiques pour la production, la distribution et l’exploitation ont donc été recommandées.
- Concernant la communication de la démarche RSE, la table du SDI, en partenariat avec la CST, a proposé de se fixer des objectifs « smarts », donc simples, mesurables et atteignables, et de les communiquer sur plusieurs médias : sur les réseaux sociaux, dans les mails, dans les contrats… Sur le modèle du label Écoprod pour les tournages, la création d’un label “Distributeur responsable” a également été suggérée.
- La table de l’Afcae développait le sujet des VHSS et s’intéressait aux procédures pour les exploitants. L’idée d’une charte à faire signer par l’ensemble du secteur de l’exploitation a été avancée pour formaliser l’engagement des équipes lors des tournées. Il a été proposé que les formations sur ce sujet doivent être proposées non seulement aux dirigeants, mais à tous les salariés, car « l’ensemble des équipes est confronté à ce type de violences ».
- Le Scare, qui s’attachait à penser la venue des publics en situation de handicap, a insisté sur la communication des séances inclusives, pour sensibiliser tous les spectateurs à ces outils. Si le sujet de l’inclusion gagne en visibilité, sa mise en œuvre reste complexe, comme en témoignent les coûts élevés pour adapter une œuvre ou rendre un lieu accessible.
- À la table du Dire a été discuté de la manière de construire une programmation plus responsable. Faute de consensus, les participants ont jugé nécessaire de renouveler les instances décisionnaires pour garantir plus d’ouverture et de représentativité. Il a aussi été suggéré d’appliquer à la distribution et à l’exploitation le bonus du Fonds images de la diversité, qui existe déjà pour la production.
- Enfin, le GNCR, en collaboration avec l’Acrif, a pensé les questions des actions culturelles comme moyen de rendre les salles « désirables » et de garantir une stabilité. Cela passe notamment par l’accompagnement des films, que ce soit par une personne y ayant travaillé ou encore des critiques, qui sont « peut-être autant en souffrance que les cinéastes actuellement ».
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