L’Acid à Cannes, pour défendre les films, les salles, et les cinéastes en guerre

Reza Serkanian, cinéaste et vice-président, et Pauline Ginot, déléguée générale de l’Acid © Victor de Carvalho/Zélie Noreda

Alors que la programmation cannoise de neuf films et le Rendez-vous des cinéastes de l‘Association de cinéastes indépendants ouvrent ce mercredi 17 mai, Reza Serkanian, cinéaste et vice-président de l’Acid, et Pauline Ginot, déléguée générale de l’association, reviennent sur la portée de leurs actions.

Comment s’annonce la programmation de l’Acid Cannes 2023 ? 

Pauline Ginot : Comme chaque année, nous portons une attention particulière aux premiers longs métrages, aux documentaires – avec quatre sur les neuf films programmés, l’Acid est une des sections qui en montre le plus –  et aux films sans distributeur. Trois en avaient un au moment de la sélection, deux autres en ont trouvé aujourd’hui.

Reza Serkanian : On nous propose de plus en plus de films chaque année, mais nous en retenons toujours neuf, soit un par jour, pour permettre de bien s’occuper de chacun, avec chaque soir une projection dans les deux salles aux Arcades, suivie d’un débat entre l’équipe du film et un public composé en majorité d’exploitants. 

PG : L’idée étant d’accompagner ces films au moment de leur sortie en salles, il est important de les montrer aux exploitants, qui sont prioritaires aux projections cannoises, ce à quoi nous tenons beaucoup.   

Après le festival, l’Acid accompagne donc ces films dans leur rencontre avec le public, d’abord au moment de la reprise en salles de l’Acid Cannes ? 

PG : Comme chaque année, nous reprendrons cette programmation du 22 au 24 septembre à Paris au Louxor, partenaire depuis dix ans, puis du 6 au 8 octobre à Lyon au Comoedia, à Marseille au Gyptis et à la Baleine, à Nantes au Cinématographe et à l’international à Tanger, Belgrade, Lisbonne, Porto… Mais le gros du travail de soutien se met en place au moment de la sortie, avec un programmateur à temps plein à l’Acid qui programme les rencontres autour des films.

RS : En amont nous participons aux prévisionnements du GNCR pour préparer ensemble l’accompagnement, et nous assurons toujours la présence d’un réalisateur dans les salles, que ce soit celui du film ou un membre de l’Acid. 

Vous travaillez aussi avec les jeunes ambassadeurs de l’Acid ?

PG : Ils sont une cinquantaine à venir à Cannes cette année, où ils rencontreront les équipes des films et auront des quotas de places réservées. Sur ce dispositif, nous sommes partenaires de la Région Sud-Paca, qui accueillera cette année sur son stand une table ronde animée uniquement par des jeunes : les ambassadeurs de l’Acid, le groupe 15-25 de l’Afcae ou d’autres associations culturelles, tandis que les professionnels seront dans le public pour les écouter.

Nous tenons beaucoup au renouvellement des regards et nos jeunes ambassadeurs sont aussi présents tout au long de l‘année, dont beaucoup en région parisienne, mais aussi en Paca, en Auvergne et en Normandie, liés au festival étudiant du Grain à démoudre. L’idée est de cimenter un réseau autour de salles indépendantes, où ils organisent eux-mêmes des séances, comme au Saint-André-des-Arts ou aux CIP à Paris, ou à La Baleine ou aux Variétés à Marseille. En cinq ans, plus de 500 jeunes sont passés par le dispositif. 

Vous avez aussi lancé un nouveau rendez-vous avec les exploitants, les Tea Time

PG : L’idée est de consacrer un moment à discuter de cinéma et de ce qui est possible de construire autour des films de l’Acid, ceux à venir et ceux en continuation, entre exploitants et cinéastes. Nous nous sommes rendus compte que les temps d’échange que nous avions à l’Acid étaient rarement ouverts sur l’extérieur et avons souhaité les partager davantage. Face aux difficultés que rencontrent aujourd’hui les films de recherche, nous pensons que c’est en communiquant sur notre désir et notre plaisir que nous pourrons ensuite mieux le communiquer au public.

RS : Ces rendez-vous sont ouverts à tous, au-delà des adhérents de l’Acid, comme à Cannes où l’idée est d’accueillir tout le monde. 

Vous accueillez en effet d’autres associations dans votre Café des Cinéastes, y compris venues d’autres pays ?

PG : Cannes étant un endroit très hiérarchisé, l’Acid tient à proposer des espaces qui ne le sont pas, comme notre Café des Cinéastes où tout le monde est bienvenu et sera traité à égalité, un réalisateur de court métrage comme celui d’un film en compétition. C’est une maison, où l’on construit quelque chose de très familial et généreux, ouverte tous les jours de 10h à 16h, la fin de la journée étant consacrée à des tables rondes [voir ci-contre]. 

RS : Nous avons des liens réguliers avec la SRF ou des syndicats tels que le Scam ou la SACD, mais aussi au niveau international. Je suis par exemple membre d’une association de cinéastes iraniens qui s’est créée récemment, Iranian Independent Filmmaker Association (IIFMA), qui, après nos discussions avec Thierry Frémaux, aura un stand cette année à Cannes. C’est la première fois qu’une organisation iranienne indépendante du gouvernement sera présente au Marché du film, pour faire entendre la voix de cinéastes réprimés. L’un d’eux participera à la table ronde que nous organisons sur la création en temps de guerre et de crise [voir programme], où interviendra aussi Maciek Hamela, qui a tourné In The Rearview, programmé à l’Acid Cannes cette année, au coeur du conflit ukrainien. Le réalisateur a une histoire incroyable : parti en Ukraine pour aider les gens à se réfugier en Pologne, il a su transformer un geste humanitaire en véritable geste cinématographique.

Au-delà de votre engagement à Cannes, l’Acid a récemment dénoncé la concentration parmi les films art et essai, qui serait un effet pervers de notre système de classement. Que faut-il changer selon vous ?

PG : Nous avons réagi avec véhémence quand l’observatoire du CNC a montré que la concentration dans l’art et essai était plus forte encore que sur l’ensemble des films. 

Les films que soutient l’Acid ont de plus en plus de mal à se faire une place en salle : on l’a vu récemment avec Grand Paris ou Atlantic Bar, sur lesquels la presse et le bouche-à-oreille ont été excellents. Alors que les moyennes par séance ont été très élevées, avec des salles souvent pleines, le total des entrées est resté bas parce qu’ils n’ont pas été suffisamment exposés. 

Après les conclusions du rapport Lasserre, nous avons hâte que la concertation s’ouvre pour trouver tous ensemble des solutions et les appliquer. Les propositions qui vont dans le sens d’une plus grande sélectivité du classement art et essai actent nos constats. Des films recommandés comme Dune ou 1917 sont pour nous des symboles : nous ne questionnons pas leur statut de films d’auteur, mais la prise de risque de les programmer. Qu’une salle atteigne son quota art et essai avec uniquement des films sortant sur plus de 400 copies nous semble absurde dans un système qui se veut sélectif. À l’Acid, nous pensons qu’une salle classée doit proposer un minimum de films recherche. À la question du nombre de films s’ajoute celle du nombre de séances. Quelques films occupent l’immense majorité des séances, ce que pointe bien le rapport Lasserre. L’idée d’aller vers une pondération a donc du sens, en tenant compte de la typologie de chaque salle.

N’est-ce pas plus difficile de montrer les films de l’Acid dans les petites villes ?

RS : Tout dépend du travail de l’exploitant pour mettre en avant des films et des auteurs méconnus, où que l’on soit sur le territoire. Quand on se rend dans les salles, on voit tout de suite la différence. Je l’ai observé dans des petites villes très reculées, dont une où l’exploitant avait préparé un dîner, offert pour les spectateurs qui voyaient deux films. J’ai dîné avec eux dans la salle et nous avons parlé de cinéma toute la soirée. Une autre fois, toujours à la campagne, le film que je présentais a dû être projeté dans deux salles distantes face à l’affluence. Il ne faut pas préjuger de ce que les gens ont envie de voir : il y a un public pour nos films partout. 

PG : L’Acid a justement été créée pour montrer les films dans les petites villes ; 46 % des salles adhérentes sont dans des agglomérations de moins de 20 000 habitants. Il n’y a aucune raison pour que les films recherche ne sortent en nationale que dans les grandes villes. Le public n’est pas plus ou moins averti selon là où il habite. Quand l’exploitant fait son travail d’éducation au regard, il n’y a qu’un seul public.

Retrouvez tout le programme de l’Acid Cannes dans le Boxoffice Pro du 14 mai 2023.

Reza Serkanian, cinéaste et vice-président, et Pauline Ginot, déléguée générale de l’Acid © Victor de Carvalho/Zélie Noreda

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