Deux mois après le renouvellement du conseil d’administration de l’Afcae, son nouveau président partage ses projets pour le mouvement art et essai.
L’embellie de la fréquentation ces derniers mois se ressent-elle aussi dans les salles art et essai ?
Depuis le mois de septembre, le cinéma en général a repris de l’importance et c’est beaucoup de bonheur : nous retrouvons nos spectateurs autour de films d’auteur comme L’Innocent ou La Conspiration du Caire, qui séduisent à la fois le public des salles généralistes et plus pointues. C’est d’autant plus réjouissant que nous avons été attaqués par une partie des médias, qui ont critiqué le prix des places et l’offre de films, sans distinguer les salles qui défendent la diversité avec des tarifs bien inférieurs à ceux qu’ils dénonçaient. Quant au bilan de l’année, dans l’attente des chiffres, nous avons l’impression que les salles art et essai ont mieux résisté.
Vous avez souligné que votre mandat de président s’inscrit dans la continuité de celui de François Aymé, mais quels sont vos projets pour mieux valoriser les films et les salles art et essai ?
Nous voulons d’abord nous concentrer sur la recommandation des films. Le terme art et essai ne descend pas du Saint-Esprit : il découle d’une expertise et d’une action spécifique. Aussi nous souhaitons mettre en valeur le travail bénévole des membres du collège de recommandation, en expliquant l’importance de leurs choix, mais également, en lien avec le CNC, nourrir certaines réflexions afin de rendre encore plus efficace le travail réalisé par le Collège.
Nous allons ensuite continuer à accompagner les salles par des actions fortes (soutiens aux films, pastilles, festivals…), tout en les redynamisant, avec les différents groupes de l’Afcae dont le nouveau comité 15-25. Nous ne pouvons plus travailler en 2022 comme en 2019.
Enfin, nous allons poursuivre le travail de François Aymé pour créer une “marque” art et essai. Il faut revendiquer avec ambition, de façon visible et compréhensible pour le public, les valeurs portées par les salles art et essai : voir un film ensemble, c’est avoir une certaine idée de la société et du collectif, dans le respect du public et des auteurs. Cela pourra passer par un logo, un clip avant les séances, en tout cas, un symbole plus reconnaissable.
Vous dites que l’on ne peut plus programmer en 2022 comme on le faisait en 2019 ; alors comment ? Souhaitez-vous plus de régulation ?
Pas forcément, même si l’on pourrait remettre en place certains engagements de programmation. Mais cela passe surtout par une meilleure entente entre exploitants et distributeurs. L’après-crise nous l’impose : il faut réfléchir à ce qui est le mieux pour les films et pour les salles, face à la concurrence d’autres écrans qui n’ont aucune restriction d’horaires. Il faut réinterroger la multi programmation pour proposer les films au bon moment, au bon horaire, à nos spectateurs – car nous connaissons nos publics – et pour laisser entrer plus de diversité – ce qui n’est pas possible aujourd’hui. Or pour que le cinéma reste désirable, il faut pouvoir proposer le choix le plus large possible. Certains distributeurs n’ont pas encore intégré cette évidence, y compris des indépendants qui continuent à exiger un nombre de séances trop élevé en sortie nationale, sans reconnaître qu’il vaut mieux garder un film sur la durée.
On sait aussi qu’il faut événementialiser davantage, ce qui suppose de laisser des créneaux pour ces temps de rencontres et d’animations. Et pour créer des événements, les salles ont besoin du soutien des distributeurs et d’autres partenaires, notamment sur certains territoires où elles sont en quête de légitimité et sont peu entendues des pouvoirs publics. Nous avons le projet de les mutualiser davantage au niveau national, comme le fait de plus en plus l’ADRC.
Dans cette optique d’événementialisation, faut-il s’ouvrir davantage au transmedia, y compris en diffusant des séries ou des films de plateformes ?
Les salles art et essai se sont toujours réinventées, notamment en ouvrant leurs écrans à de nouveaux médias, tels que le jeu vidéo ou le clip. Quant à diffuser des films de plateformes, nous n’y sommes pas favorables mais il est actuellement difficile d’avoir une position franche et définitive. Il faudrait, pour cela, que les plateformes s’intègrent davantage à notre écosystème en montrant leur solidarité avec la salle, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je ne défends pas le day-and-date car les cinémas n’ont pas à devenir le porte drapeau de films qui vont sortir sur les plateformes. Proposer certaines séances dans le respect de la chronologie est envisageable, mais pas avec un visa exceptionnel, car le travail de l’exploitation doit résulter d’une réflexion commune avec un distributeur.
Comment allez-vous poursuivre le travail en direction des 15-25 ans ?
Je suis très positif sur le lancement de notre comité 15-25, qui, dès les premières réunions, trouve une idée à la seconde ! Si le sujet des jeunes nous préoccupe depuis dix ans à l’Afcae, le soutien du CNC, à travers ses deux appels à projet – celui sur la diffusion culturelle et le fonds jeunes cinéphiles – a permis d’impulser des actions fortes. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la pérennisation du fonds jeunes cinéphiles : les associations territoriales et les salles ont beaucoup investi – nous-mêmes, à l’Afcae, avons embauché une personne. Par ailleurs, nous élargissons l’expérimentation Étudiants au cinéma. Si elle passe par des conventions locales – chaque université étant autonome –, nous appelons à des concertations avec les deux ministères de tutelle, celui de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur, pour être soutenus à l’échelle d’un projet plus global.
Et que faire pour les plus âgés qui ont perdu leurs habitudes ?
Il s’agit en effet du public le plus cinéphile et emblématique des salles art et essai. L’érosion des spectateurs de plus de 50 ans est inquiétante, mais aussi la baisse des 25-49 ans, qui constitueront bientôt la majorité de notre public. Pour les plus de 50 ans, il faut davantage d’événements et espérer de bonnes conditions sanitaires. Pour l’âge intermédiaire, il faut leur rappeler que le cinéma reste la sortie culturelle la moins chère et la plus accessible – il y a des salles partout –, et qu’il n’est pas possible de construire une société où chacun est devant son écran individuel.
Comment, au-delà des économies d’énergie immédiates, l’Afcae compte travailler sur les questions d’écologie ?
Le coût de l’énergie actuel frappe toutes les salles : certaines diminuent la voilure, d’autres allant jusqu’à fermer, et vont donc perdre la dynamique de leur travail de proximité et d’éducation à l’image. L’Afcae s’est saisie du sujet, notamment avec le projet de se regrouper pour obtenir des tarifs plus intéressants sur les trois prochaines années. La proposition, portée par un tiers de confiance qui n’est pas un prestataire, a été présentée lors de notre AG du 8 décembre.
Dans un deuxième temps, nous accompagnerons les salles, en lien avec l’ADRC, pour mieux isoler leurs bâtiments et passer aux projecteurs laser. Une démarche plus longue, qui nécessite des investissements et pourrait être un critère dans le cadre du soutien sélectif du CNC. La question écologique rejoint aussi une façon de programmer différente : rien ne sert de faire un grand nombre de séances si les salles sont au trois quart vides.
Comptez-vous développer la formation pour vos adhérents ?
C’est primordial. Pendant la crise, les formations que nous avons organisées en ligne et celles proposées par le groupe Jeune public ont répondu à un réel besoin de nos adhérents. De façon générale, il y encore peu de formations dans notre secteur alors que le besoin d’échanger entre exploitants est énorme, particulièrement en ces temps de mutations. L’Afcae est donc en train de construire, en s’appuyant sur le travail de nos associations territoriales en la matière, des modules et une grille à proposer à l’ensemble de ses adhérents.
Votre vision de la salle de demain ?
Dans les dix prochaines années, les salles art et essai auront plus que jamais un rôle à jouer dans la société : la notion de collectif ne peut se construire ailleurs que dans des lieux où la parole est libre, où l’on peut voir des films et des cultures du monde entier. Et la notion d’art et essai n’a de sens que dans des salles où les films programmés ont une vraie valeur, où leurs auteurs sont découverts, reconnus et célébrés. La salle sera plus petite, plus proche des habitants, évidemment respectueuse du climat et du territoire. Et, en tout cas, toujours présente !
Partager cet article