Le grand documentariste est l’invité d’honneur des Rencontres nationales patrimoine/répertoire de l’Afcae qui se déroulent du 22 au 24 mars à Morlaix (Finistère). L’occasion d’évoquer avec la société de distribution Météore Films, qui l’accompagne depuis 2017, la collaboration et les projets à venir… du cinéaste nonagénaire.
« Être le distributeur français de Frederick Wiseman, en plus d’être un marqueur pour les professionnels, est une vraie fierté. » Il ne faut pas discuter bien longtemps pour comprendre toute l’admiration et l’amour de Mathieu Berthon pour le cinéma de Wiseman. Alors qu’il a fondé Météore Films en 2015 après plus d’une décennie passée aux Films du Losange, il apprend que le cinéaste américain cherche un distributeur en France. « Mes années au Losange m’ont donné beaucoup d’appétence pour la notion d’auteur. Frederick Wiseman en est un immense, indépendant de la première heure et incarnant une vitalité du cinéma documentaire avec sa capacité à transformer le réel. C’était donc une chance de pouvoir accompagner un tel cinéaste, qui fait partie de ces auteurs dont la liberté formelle, le ton et, plus globalement, l’œuvre n’ont de raisons d’être qu’en salle de cinéma. » D’autant plus qu’à cette époque, Météore ne croule pas sous le nombre de films : « Ces auteurs ont besoin de temps, d’écoute, de générosité… j’en avais plein à ce moment-là ! »
Le cinéaste américain a, en parallèle, entamé un travail de restauration de trois de ses films avec Cannes Classics : Titicut Follies (1967), High School (1968) et Hospital (1970). Pour Mathieu Berthon, il apparaît alors essentiel, « pour rappeler l’importance d’un cinéaste », d’accompagner la sortie de ses nouveaux films par la ressortie des précédents. Avant de lancer Ex Libris, Météore se penche donc sur Titicut Follies, quasi invisible dans l’Hexagone par le passé à l’exception de quelques rétrospectives. « Nous avons pu initier un nouvel élan et montrer l’extrême modernité du travail de Frederick. » Plus de 6 000 cinéphiles sont au rendez-vous de la reprise en septembre 2017, alors que le distributeur accompagne en parallèle l’inédit Ex Libris dès le mois de novembre, qui rassemble pour sa part près de 20 000 curieux. Deux belles sorties qui achèvent de convaincre Wiseman de poursuivre avec la structure. En avril 2019, Monrovia, Indiana séduit à son tour quelque 20 000 spectateurs, mais un an plus tard, l’aventure City Hall est coupée dans son élan en octobre 2020, à cause de la crise sanitaire et termine donc avec seulement 1 200 entrées. En octobre dernier, Météore a sorti Un couple qui a rassemblé 2 200 cinéphiles. « En quelques années, nous avons réussi à faire en sorte que les films de Wiseman soient vus en salles, mais aussi à la télévision, grâce à Ciné+ », ainsi qu’en vidéo avec BlackOut puis Jour2Fête, qui a racheté Doc & Film.
« Frederick a une forte réputation dans le milieu cinéphile ; il est notamment étudié dans les écoles de cinéma et défendu dans les salles notamment celles de Sophie Dulac. Toutefois, il reste peu connu du grand public. Ce qui nous anime, c’est de révéler ce qui est contemporain et attractif dans son cinéma pour attirer un public jeune et curieux », poursuit Mathieu Berthon. L’une des prochaines échéances est fixée au 5 juillet prochain, avec la sortie de Welfare, réalisé en 1975 et dans lequel Wiseman s’est intéressé au centre d’aide sociale de Waverly à New York. Une sortie événement puisque, outre sa vie en salles, le film devrait également connaître une belle expérience sur les planches, en étant adapté par Julie Deliquet, metteuse en scène et directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. L’autre temps fort de 2022 interviendra à l’automne, avec le Festival Play it Again ! organisé par l’ADRC, qui proposera notamment High School en partenariat avec L’Archipel des Lucioles. Le film va en effet intégrer le dispositif Lycéens au cinéma et sera également au programme du baccalauréat, récompensant ainsi le travail de Météore autour du cinéaste.
Pour autant, High School ne bénéficiera pas d’une ressortie en salles dans la foulée. Car le distributeur travaille sur un projet d’ampleur qu’il espère finaliser autour de l’été 2024. « Sur la quarantaine de films de Wiseman, une trentaine est totalement invisible. Or, Frederick souhaite que son œuvre perdure et depuis quelques années, essaie de trouver des solutions économiques pour numériser et restaurer ses films. » Un travail titanesque qui demande également beaucoup d’énergie et de moyens à Météore pour réaliser sous-titrages et DCP, l’ambition, in fine, étant de proposer une intégrale, dont une partie sortira en salles. L’année 2024 sera celle de Wiseman, avec la sortie au second semestre de son nouveau documentaire actuellement en montage. « À 93 ans, Frederick garde encore une soif de tourner et démontre un peu plus l’indépendance de son cinéma. Je crains d’ailleurs que des cinéastes comme lui ne puissent plus émerger à l’avenir. D’un côté le marché domine, avec une sorte de “taylorisation” de la production, tandis que le cinéma comme objet artistique et culturel ne peut pas suffisamment s’exprimer. Ce n’est pas un problème récent : Wiseman a été invisible en France pendant plus de 40 ans. Mais nous avons aujourd’hui du recul et des possibilités pour ajuster les choses. Il nous faut, nous professionnels, s’interroger sur ce que l’on veut construire politiquement. »
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