François Aymé : « Nous défendons l’idée d’une meilleure régulation »

François Aymé, président de l'AFCAE, monte au front.

INTERVIEW – Des chiffres de 2018 à l’avenir de la réforme, de la régulation nécessaire au nouveau prix des exploitants à Cannes, le président de l’Afcae partage ses réflexions, en amont de l’assemblée générale cannoise.

Pourquoi l’Afcae lance le Prix des cinémas Art et Essai ?

Ce prix est une première : l’idée est de valoriser l’importance du réseau Art et Essai, en France mais aussi à l’international, dans son soutien aux films et son rôle de prescription auprès du public. En partenariat avec le Festival de Cannes, un prix sera donc décerné à un film de la Sélection officielle (compétition et Un Certain Regard), par un jury international de cinq exploitants Art et Essai* : la valeur du prix sera l’engagement de plus de 1 000 salles à programmer le film primé. L’enjeu est de contribuer à la diffusion d’un film de manière très incitative, à l’achat des droits dans différents pays et à sa promotion au moment de la sortie. Face à l’essor des plateformes de SVOD, c’est une façon de rappeler la spécificité du travail des salles, dans le cadre du plus grand festival au monde.

Comment analyser la fréquentation de 2018 ?

Les salles Art et Essai ont bien résisté par rapport à la tendance nationale de moins 4 % : leur fréquentation est stable ou en hausse, à l’exception de celles des villes moyennes, dont la programmation est souvent plus généraliste, ce qui les rapproche des résultats nationaux. Le marché des films Art et Essai a quant à lui aussi progressé, contrairement à l’ensemble des films, passant de 19,5 % à 21,5 % du total des entrées. Dans un contexte de baisse, cela montre que le public Art et Essai est fidèle : face à l’offre pléthorique de films sur un nombre multiple de supports, les cinéphiles continuent de sortir pour venir en salle. Mais il y a des raisons de s’inquiéter, notamment face au reflux de la fréquentation chez les 25/49 ans pour la 2e année consécutive, qui se confirme au 1er trimestre 2019. La concurrence des plateformes, de Netflix en particulier, a des conséquences sur un public adulte qui continue à aller au cinéma, mais de façon plus sélective.

Quelles options s’offrent à vous dans ce cas ?

Si cette tendance se confirme, nous souhaiterions une réaction politique ambitieuse, sur trois axes principaux. À commencer par l’investissement, sujet qui sera au cœur de notre table ronde à Cannes, organisé avec le CNC et l’ADRC. Si le parc français reste l’un des meilleurs au monde, un cinéma sur deux est un mono écran. Au-delà de la nécessité d’augmenter l’offre de films, pour faire la différence avec l’offre à domicile, les salles doivent offrir le meilleur confort mais aussi intégrer une dimension conviviale. Il faut penser nos cinémas comme de véritables lieux de vie et de sortie, avec un café, un espace pour les enfants… Les salles Art et Essai doivent renforcer leur originalité par rapport à la logique de consommation des multiplexes et être accompagnées dans cette dynamique.

Nous défendons l’idée d’une meilleure régulation. Quand la fréquentation régresse, les tensions concurrentielles s’accroissent et la relation se crispe entre circuits et indépendants. La médiation est plus que jamais indispensable. Le nouvel outil de la recommandation a priori, voulue par le CNC, doit servir : que Green Book, le film Art et Essai le plus porteur de ce début d’année (2 millions d’entrées), ne soit pas sorti en nationale dans les salles Art et Essai les plus performantes nous choque. Et l’ensemble des aides à la diffusion des films Art et Essai n’a de sens que si les salles concernées peuvent les diffuser ! Suite à cet épisode, l’AFCAE a rencontré la médiatrice pour faire un bilan : les chiffres montrent qu’à Nancy et Strasbourg, soit les deux grandes villes où le film a été placé en sortie nationale dans une salle classée, les résultats ont été particulièrement performants. Même si le distributeur n’a pas participé à cette rencontre, elle nous apparaît de bon augure.

Enfin, il faut donner la priorité à l’éducation au cinéma, d’autant plus nécessaire face à la multiplication des écrans et une forme de consommation addictive. Pour le moment, le projet emblématique du ministère de la Culture sur le sujet est le Pass Culture. Nous avons très peu de retours sur l’expérience menée dans cinq départements, mais sommes sceptiques sur la pertinence du projet : suffit-il d’avoir un accès à des biens culturels à hauteur de 500 euros pour créer l’envie et susciter la curiosité chez un jeune de 18 ans ? Le goût de la découverte se construit dans le temps, avec des médiateurs – parents, enseignants, éducateurs… –, aussi préconisons-nous d’investir dans des postes et des lieux de médiation. Quant aux dispositifs École, Collège et Lycéens et cinéma, nous souhaiterions qu’ils soient élargis à un plus grand nombre d’élèves. Il faut saluer le travail remarquable, sur 25 ans, des Enfants de Cinéma en direction chaque année d’un million d’enfants. Au moment charnière où la coordination est en cours de transfert à Passeurs d’Images, il faut une nouvelle ambition. L’AFCAE, dont la quasi-totalité des adhérents participent aux dispositifs d’éducation à l’image, a demandé à être associée à l’organisation et aux décisions les concernant.

Quel est votre regard sur la croissance du parc de salles ?

En 2018, nous avons constaté que de nombreux multiplexes enregistraient une baisse des entrées entre 5 et 10 %, supérieure à la moyenne nationale. Dans certaines agglomérations, les ouvertures se traduisent par un transfert des entrées plutôt que par une croissance du marché global. Malgré cela, on multiplie les projets d’implantation, souvent dans des zones déjà suréquipées. Les commissions d’aménagement cinématographiques doivent mieux prendre en compte les évolutions du marché. L’avenir est-il dans l’offre consumériste du cinéma ? Certes, Hollywood produit des films très porteurs, mais il n’y a pas chaque semaine un Avengers et la fréquentation ne peut s’appuyer que sur ce type de films.

Un mot sur l’avenir de la réforme Art et Essai ?

La réforme est maintenant en œuvre et il faut souligner l’effort du CNC qui a augmenté l’enveloppe, passée de 15 à 16,5 millions d’euros en 2 ans. Reste que pour la 3e année, les propositions de classement des commissions régionales sont supérieures à ce que peut couvrir l’enveloppe. C’est à la fois logique : la réforme valorise les labels, encourage les salles à faire un meilleur travail d’animation donc structurellement, l’Art et Essai progresse. C’est aussi contradictoire : si les salles font plus, mais que l’enveloppe ne progresse pas dans les années qui viennent, leurs efforts ne sont pas reconnus. À l’AFCAE, nous pensons qu’il faut tirer les enseignements de cette réforme et déjà envisager de bouger les curseurs pour que les aides soient les plus équitables possibles. De son côté, nous souhaitons que le CNC soit en mesure de réajuster l’enveloppe d’une année sur l’autre en fonction des propositions des commissions.

À terme, il faut redéfinir une politique ambitieuse, évoquée précédemment : si la baisse de 4 % de la fréquentation nationale se répète, dans 4 ans, nous aurons 30 millions d’entrées de moins, des salles qui risquent de fermer, et tout le travail qui a été fait sera abîmé. Il sera plus difficile de refaire partir la machine.

Nous aborderons tous ces sujets avec la présidente du CNC, Frédérique Bredin, qui échangera avec les adhérents de l’AFCAE à la fin de l’Assemblée Générale. Pour autant, les enjeux dépassent le cadre du cinéma : nous devons avoir une réflexion sociale, urbaine, qui se traduise par une politique d’aménagement culturel du territoire… ce que nous rappelle chaque jour l’actualité !

François Aymé, président de l'AFCAE, monte au front.

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