Dans une tribune parue dans Libération, le président de l’AFCAE critique la décision de Venise de sélectionner les films Netflix.
François Aymé s’attache d’emblée à rappeler le statut de la Mostra, plus ancienne manifestation cinématographique : Venise est « une vitrine haut de gamme qui donne à une vingtaine de titres privilégiés une rampe de lancement à résonance mondiale ». Une vitrine qui devrait, pour le président de l’AFCAE, attacher de l’importance aux conditions de sorties des films qu’elle sélectionne. Il rappelle le cas de Roma, récompensé du Lion d’or 2018 et oscarisé en février mais dont l’exploitation sur Netflix a été loin du succès escompté. Si la plateforme n’a pas communiqué sur le nombre de spectateurs, une étude du CNC fin 2018 (réalisée à partir d’un échantillon d’abonnés) relègue le film en fond de classement. « Il est tout de même surprenant qu’un festival, dont la mission est de préparer les films à leur sortie, soigne ses happy few mais demeure indifférent aux conditions dans lesquelles le public reçoit (ou pas) un film couronné. »
Concernant Cannes, où le sujet attise les débats depuis 2017, François Aymé prend pour exemple Bong Joon-ho. Okja, diffusé sur Netflix et sélectionné à l’époque, n’a reçu qu’un écho limité dans la foulée de sa présentation. Revenu cette année avec Parasite, le cinéaste coréen est reparti avec la Palme d’or et un succès dans les salles françaises (plus de 1,5 million d’entrées actuellement). Le président de l’AFCAE explique d’ailleurs que Bong Joon-ho « conditionnerait désormais toute éventuelle collaboration avec Netflix à une sortie en salles ».
« La vérité est que nous sommes à un moment charnière. […] En festival, la dimension artistique prime sur les considérations commerciales : la vocation d’un grand film est d’être d’abord découvert en salle. Soyons sérieux : imagine-t-on les chefs-d’œuvre de Kubrick, de Fellini, de Kurosawa se dispenser de l’écrin d’un grand écran. Valider, banaliser l’absence de sortie est une formidable régression. »
François Aymé
S’interrogeant sur la différence de traitement entre les chaînes de télévision locales et les plateformes, François Aymé s’attarde sur la base de Netflix : l’algorithme. Une « différence de « nature » qu’il y a entre les plateformes et les producteurs et diffuseurs traditionnels, une différence qui devrait sauter aux yeux de la Mostra », ajoute-t-il. Un déclin vers l’uniformisation des goûts et des films, où les grands cinéastes ne serviraient qu’à attirer l’utilisateur vers du contenu mainstream. Soit aux antipodes du cinéma d’auteur qui prône la curiosité, l’imprévisibilité, l’aléatoire d’après le président de l’AFCAE.
Et François Aymé de conclure : « Netflix, c’est comme une grande chaîne de restaurants qui voudrait décrocher trois étoiles au guide Michelin. Elle en a l’ambition, les moyens financiers, mais ni l’esprit et encore moins la vocation. Soutenir et relayer cette ambition sans négocier, c’est trahir la mission originale d’un grand festival qui doit défendre les œuvres avant tout. »
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