Disparition de Pierre-William Glenn

© Maxime Grossier

Le chef opérateur, qui a présidé de 2002 à 2018 la Commission supérieure technique (CST) et qui en était encore aujourd’hui président d’honneur, nous a quittés ce 24 septembre 2024, à l’âge de 80 ans.

En mars 2015, à l’occasion de la master class qui lui avait été consacrée aux Rencontres du Sud, Boxoffice Pro avait embarqué dans un passionnant voyage au fil de sa carrière. 

En hommage, nous publions, en ligne, l’article du Côté Cinéma Plus paru le 11 mai 2015 : 

Pierre-William Glenn, des plateaux aux projos de Cannes

Pierre-William Glenn à la présentation de la caméra Sony F65 © CST BD

Il a été président de la CST et directeur du département image de la Fémis, mais surtout un chef opérateur émérite qui a éclairé plus de 40 ans de cinéma, signant les images des films de Giovanni à Tavernier, de Truffaut à Corneau, de Losey à Fuller. Le 19 mars 2015, il était convié à une master class dans le cadre des 5es Rencontres du Sud à Avignon… Un moment d’échange en toute spontanéité, qui nous a permis d’en savoir plus sur l’homme derrière la caméra, sa vision du cinéma d’aujourd’hui et des salles françaises !

« Un film, ce n’est que de la lumière captée sur une surface sensible – qu’elle soit pellicule ou capteur numérique. C’est d’ailleurs drôle que ce soient des frères nommés Lumière qui aient inventé le cinéma », s’amuse à rappeler Glenn. Lorsqu’il parle de son métier, au terme de directeur photo – « qui a un côté administratif » –, il préfère celui de chef opérateur – « parce ça fait plus ancien ». Et pourtant, Pierre-William Glenn a débuté dans le métier avec une image de Jeune-Turc, obtenant un premier poste à responsabilité à 25 ans à peine, alors qu’à l’époque, le plus jeune chef opérateur en avait 50. « J’avais raté l’entrée à Polytechnique après mes études de mathématiques. Trop fier pour repasser le concours, j’ai passé celui de l’Idhec [Institut des hautes études cinématographiques, ndlr] où j’ai été formé. Après ça, j’ai tout de suite commencé à travailler. Il y a une part de hasard très importante dans ce métier, qui consiste à rencontrer le bon scénario et le bon metteur en scène au bon moment. J’ai eu cette chance-là et à 30 ans déjà, on me proposait plus de films que je ne pouvais en faire… ».

De la réversibilité du cinéma

Le Cousin Jules de Dominique Benicheti (1968-1972), photographié par Pierre-William Glenn © Carlotta Films

Le premier film dont Glenn signe l’image est Le Cousin Jules de Dominique Benicheti, qui est ressorti en salles le 15 avril 2015 (distribué par Carlotta). « C’est un documentaire sur lequel j’ai travaillé de 1968 à 1972. J’en ai beaucoup fait la promotion aux États-Unis, où cette histoire de vieux maréchal-ferrant de Bourgogne a eu une critique insensée ! ».

Bien qu’il ait débuté à la fin des années 60, le chef opérateur ne se considère pas “Nouvelle Vague”. « Je suis arrivé dans le métier 10 ans après le grand Raoul Coutard, qui avait signé l’image des films les plus importants de la Nouvelle Vague », précise Glenn. « On me considère souvent comme son héritier. Mais bien que j’aie une grande admiration pour lui, ma filiation est plutôt affective, puisque j’ai fait des films plus “écrits” que ceux de la Nouvelle Vague. Il n’y a pas plus classique que les trois films que j’ai fait avec Truffaut [La Nuit américaine, Une belle fille comme moi et L’Argent de poche, ndlr.], qui, même s’il a fait sa réputation contre la “qualité française”, était avant tout un cinéaste de studio. »

C’est ce même Truffaut qui, un jour, confie à son jeune chef opérateur : « Il faut que vous fassiez au moins un film en tant qu’acteur pour appréhender ce que c’est que d’être face à la caméra. Moi je n’ai compris ce qu’était le cinéma que lorsque je suis passé de l’autre côté. » Pierre-William Glenn saisira plusieurs fois l’occasion, notamment en interprétant le troisième rôle des Yeux fermés de Joël Santoni (1971), dont il signe aussi la photo. « Moins superstitieux à l’époque, j’y interprétais l’amant qui se fait écraser à moto à la fin. Puis j’ai fait plusieurs téléfilms avec Thierry Lhermitte, Francis Huster… Ça me fait des vacances tous ces gens qui s’occupent de moi sur un tournage ! », badine l’homme à la caméra… qui a aussi réalisé des longs métrages : Le Cheval de fer en 1974, Les Enragés en 1984, 23 heures 58 en 1992, Terminus en 1987, Portrait de groupe avec enfants et motocyclettes en 2009. « Et je peux vous dire que ces expériences m’ont permis de devenir… un bien meilleur chef opérateur. »

La Nuit américaine de François Truffaut (1973), photographié par Pierre-William Glenn © Succession Pierre Zucca

La lumière dans l’ombre

Comme pour tous les autres métiers techniques du cinéma, on demande à l’opérateur de “disparaître”. Il y a plein de choses que l’on invente, et si on est vraiment bon, on s’efface.

Si la lumière reste sa grande passion, Pierre-William Glenn est conscient des zones d’ombres de sa profession. « Comme pour tous les autres métiers techniques du cinéma, on demande à l’opérateur de “disparaître”. Il y a plein de choses que l’on invente, et si on est vraiment bon, on s’efface », admet-il avec humilité. « Et quoi que l’on vous raconte lors des promotions des films, un tournage est un lieu de conflit et de méchanceté, où des hommes et des femmes peuvent être maltraités, humiliés… Je me suis souvent senti en situation de non assistance à personne en danger », déplore Glenn, avant de préciser : « C’est la personnalité la plus forte qui s’impose sur le plateau : souvent, c’est le metteur en scène, parfois c’est un acteur, une scripte, un chef déco… Par exemple, sur le seul film que j’ai tourné avec Joseph Losey [Monsieur Klein, 1976, ndlr.], c’est Alain Delon qui lui indiquait où mettre la caméra et ce qu’il allait faire comme jeu. J’ai même vu Delon demander à un metteur en scène de quitter le plateau parce qu’il le gênait ! ».

Des anecdotes de ce genre, Glenn en a à revendre, lui qui a photographié tant de stars internationales. Et si l’on n’a pas vu son nom au générique d’un film depuis Cette femme-là de Guillaume Nicloux en 2003 et Un fil à la patte de Michel Deville en 2004, c’est qu’aujourd’hui, le chef opérateur sélectionne davantage les projets.

« Ce n’est pas que je ne travaille plus, mais cela fait 10 ans que je refuse les propositions de films. Au risque de paraître arrogant, je n’ai pas besoin de tourner pour exister. La chance et la carrière que j’ai eues me permettent de refuser un film – qui sera quoiqu’il en soit financé et diffusé – si je pense qu’il n’y a rien à en tirer. » Car selon l’exigeant professionnel de l’image, sur les 240 films français produits chaque année, seul une vingtaine sort du lot, tandis que les professions techniques du cinéma se paupérisent, et que le numérique commence à peine à tenir ses promesses.

De l’âge d’or à la crise, de la récession technologique au progrès

Les possibilités techniques du cinéma sont désormais quasiment infinies, et très en avance sur l’imagination des auteurs. 

Aujourd’hui, le chef opérateur vétéran qui pourrait se contenter de vanter sa faste carrière, s’inquiète en effet de la détérioration des conditions de travail de ses collègues techniciens. « Il y a plein de jeunes qui sortent des écoles privées, sans aucun savoir, qui sont prêts à travailler pour très peu d’argent, ce qui exerce une pression sur les gens en place, obligés d’accepter n’importe quoi. Car la peur de ne pas travailler, de ne pas tourner est constitutive de ce métier… Il y a aujourd’hui des chefs opérateurs qui sont moins payés que ce que je l’étais en tant qu’assistant à la fin des années 1960 ! », s’indigne Glenn, qui voit dans cette dégradation des salaires de la profession la raison pour laquelle la plupart des plus grands chefs opérateurs français travaillent en Amérique aujourd’hui*.

Et tout en ayant accueilli la révolution numérique avec enthousiasme et engouement, Pierre-William Glenn déplore la faiblesse des nouveaux outils et les écueils de leur utilisation. « Aujourd’hui les tournages sont envahis de téléviseurs, écrans témoins de la scène que l’on tourne. En tant qu’opérateurs, nous n’aimons pas beaucoup cette tendance, parce que ces images mal calibrées ne restituent pas du tout notre travail. » Une surenchère d’images sur le plateau que l’on retrouve aussi dans la surenchère de prises. « Un film en 35 mm, c’était 30-40 heures de rushs comme base de montage. Avec La Vie d’Adèle, Kechiche est monté jusqu’à 640 heures de rushs, multipliant dès lors son temps de montage par 10. »

Comme toutes les révolutions techniques, le numérique, selon Pierre-William Glenn, a d’abord provoqué une régression. « On a eu droit à 5 ou 6 générations de caméras qui nous brûlaient, dont les ventilos faisaient trop de bruit… et qui devenaient obsolètes en 6 mois ! Aujourd’hui, la technologie s’est enfin stabilisée avec l’arrivée de caméras (allemandes et japonaises) enfin conçues par des gens de cinéma, avec un vrai viseur et des capteurs équivalents à la surface du 35 mm. Les possibilités techniques du cinéma sont désormais quasiment infinies, et très en avance sur l’imagination des auteurs. »

L’atout salles

La fréquentation française doit beaucoup à la qualité de nos salles et à son formidable maillage du territoire.

Cette transition du numérique qui a bouleversé la production, Pierre-William Glenn l’a aussi vécue du côté des salles en tant que président de la CST. « Dès 2004-2005 la CST préconisait le passage au numérique, mais il y a eu une grande réticence des grands circuits. Résultat : le passage s’est fait brutalement de 2009 à 2011, en deux ans, alors que si nous avions pris plus de temps, nous aurions peut-être pu éviter certaines absurdités… Mais ça, c’est une longue histoire. »

Parmi ses prérogatives de président de la CST, Glenn a aussi assumé la fonction de directeur technique du Festival de Cannes, responsable de la qualité de plus de 1 500 projections qui ont lieu pendant la manifestation. « Toutes les nuits, dès que la compétition est terminée, de minuit à 6 heures du matin, je répète les projections du lendemain dans la grande salle Lumière en présence du réalisateur (éventuellement accompagné de son chef opérateur, ingénieur du son, producteur…). J’ai pu entendre Coppola, Eastwood ou encore James Gray me dire qu’ils ne reverront plus jamais leurs films dans de si belles conditions ».

La grande salle Louis Lumière du Palais de Festival de Cannes ©SEMEC-FABRE

À l’image de la “qualité cannoise”, pour cet homme de cinéma qui voyage beaucoup, la France dispose du meilleur parc de salles du monde, « et de loin !  Les exploitants savent qu’ils ont intérêt à avoir des équipements qui attirent les gens loin de leurs télés », déclare le tenant de la réglementation sur le dégagement des têtes, sur la qualité de la luminance, du chromatisme, de fixité…. avant de conclure : « La fréquentation française doit beaucoup à la qualité de nos salles et à son formidable maillage du territoire. Je reste très lié à la salle ; c’est pour elle que je fais des films. »

* Benoît Delhomme (Des hommes sans loi, Un homme très recherché), Philippe Rousselot (Sherlock Holmes, Child 44), Philippe Le Sourd (Une grande année, The Grandmaster), Bruno Debonnel (Inside Llewyn Davis, Big Eyes)…

Passe ton bac d’abord de Maurice Pialat (1978), photographié par Pierre-William Glenn © Capricci

Filmographie sélective
2003 Cette femme-là de Guillaume Nicloux
1997 Hasards ou coïncidences de Claude Lelouch
1990 Captive in the Land (Un prisonnier de la terre) de John Berry
1988 Une saison blanche et sèche de Euzhan Palcy
1988 Sans espoir de retour de Samuel Fuller
1981 Coup de torchon de Bertrand Tavernier
1979 Loulou de Maurice Pialat
1978 Série noire de Alain Corneau
1975 Monsieur Klein de Joseph Losey
1973 La Jeune Fille assassinée de Roger Vadim
1972 La Nuit américaine de François Truffaut
1972 État de siège de Costa Gavras
1971 Les Yeux fermés de Joël Santoni
1971 Cousin Jules de Dominique Benicheti
1970 Un aller simple de José Giovanni
1969 Camarades de Marin Karmitz
1969 Pauline s’en va de André Téchiné

Ayşegül Algan
Article paru dans Le Plus du Côté Cinéma, ancêtre de Boxoffice Pro, le 11 mai 2015

© Maxime Grossier