Dans le milieu de la production cinéma, l’annonce des mesures de confinement a sonné l’interruption de nombreux tournages et fait peser sur les producteurs des problèmes imprévus. Quels sont aujourd’hui les enjeux pour la filière et comment appréhender l’après ? Isabelle Terrel (directrice générale, Coficiné), Hugo Rubini (directeur général, Rubini et Associés), Nathalie Gastaldo (productrice associée, Pan-Européenne), Thierry de Segonzac (président directeur général, TSF) et Eric Altmayer (producteur, Mandarin) ont répondu à l’invitation du Film Français et de Comscore pour échanger sur ces questions.
Après la crise, comment assurer la reprise des tournages dans le respect des règles sanitaires et financières supportables pour les acteurs de la filière ? Dans ce contexte troublé pour les producteurs, dont les conséquences risquent de rejaillir sur l’ensemble de l’industrie, une seule certitude : le temps de la crise sera long. Pour Nathalie Gastaldo, productrice associée chez la Pan-Européenne, cela ne fait aucun doute : « Il faut se préparer à une reprise en septembre. Ce n’est pas une activité de première nécessité. » Les producteurs doivent faire face à différents cas de figure : l’arrêt soudain des tournages déjà entamés et l’impossibilité de démarrer les nouveaux programmés. Dans les deux cas, un constat : les surcoûts causés par les cas de pandémies ne sont généralement pas couverts par les causes des assurances. Hugo Rubini, courtier d’assurances spécialisé dans le cinéma et la publicité, indique que sur la centaine de films interrompus, seulement trois pourront être indemnisés.
La complexité particulière de la situation réside dans l’impossibilité de prévoir la durée de la crise et donc le coût total d’une telle interruption, soulève Isabelle Terrel, directrice générale de l’établissement de crédit Coficiné : « Le seul avantage que nous avons par rapport à d’autres secteurs, c’est notre capacité à réagir rapidement en cas de crise. Nous n’arrêtons pas les crédits le jour de l’arrêt du tournage et tant que nous n’y voyons pas plus clair, pour que les sociétés qui fonctionnent à flux tendu ne se retrouvent pas avec des problèmes de trésorerie. » Les tournages en préparation, eux, ont vu leurs crédits prorogés. Pour certains films dont les prises de vue n’ont pas encore démarré, certains ajustements peuvent être envisagés sans pour autant pouvoir chiffrer le surcoût, comme l’explique Nicolas Altmayer : « Nous avons refait le devis du prochain tournage de François Ozon [dont le début était prévu cinq jours après l’annonce du confinement] et basculé tous les décors naturels en studios. Ce qui pose le problème de la disponibilité de ces derniers et entraînera un surcoût de 250 000 euros. Nous avions déjà trouvé un accord financier avec les chaînes, je ne sais donc pas qui prendra en charge ces frais ; cette question se posera quand nous aurons une perspective sur la reprise du tournage. »
Chaque producteur, selon le degré d’avancement de ses films et leur typologie, sera plus ou moins impacté par la crise d’activité actuelle et la crise économique qui se profile. Pour le moment, toute la profession encaisse le coup et les coûts, en attendant la sortie de crise et d’éventuels soutiens extérieurs. En vue de la reprise, Hugo Rubini travaille déjà à trouver des assureurs prêts à s’engager malgré un risque connu et avéré : « Il faudra trouver une solution pour les contrats d’assurance à l’avenir. Dans un premier temps, nous devons assurer la fin des tournages suspendus. » Un système est déjà à l’ébauche : un médecin attitré pourrait être nommé sur chaque tournage et aurait toute autorité pour exclure des membres non essentiels de l’équipe en cas de risque de maladie. Concomitamment, tous les comédiens et membres indispensables de l’équipe technique seraient confinés le temps du tournage. Les effectifs seraient également réduits. Une compagnie d’assurance aurait déjà manifesté son intérêt. Pour les nouveaux tournages, les solutions sont plus compliquées à trouver : « Les assureurs sont tétanisés. Il ne sera pas possible de reprendre comme avant : il faudra adopter un nouveau fonctionnement, mettre en place des protections plus importantes. L’assureur sera plus intervenant sur le tournage et exigera plus de contraintes pour trouver une solution d’assurabilité satisfaisante dans ces circonstances. » Des solutions temporaires qui permettraient ensuite l’émergence d’un fonds de garantie public, voulu par les syndicats de producteurs.
Les scénarios actuels misent sur une reprise le 5 mai. Dès lors, parmi les tournages interrompus et ceux prévus, trente équipes devraient retrouver le chemin des plateaux ; pour Thierry de Segonzac, PDG de TSF, le défi est « impossible à relever ». Les producteurs pourraient être appelés à former un groupe de travail pour valider une logique concertée de reprise des tournages, sous réserve de respecter les limites d’entente imposées par l’autorité de la concurrence. Des questions se posent également sur une possible modification de la capacité de production des prochains films : « Nos partenaires habituels seront-ils en bonne situation financière ? Devra-t-on réduire le nombre de films ? Les conséquences seraient énormes et nous n’avons aucune visibilité », s’interroge Nathalie Gastaldo. Certains films attendus devraient tout de même trouver leur place, comme le nouvel OSS 117 produit par Eric Altmayer, actuellement en montage par les collaborateurs confinés et devrait tenir ses délais pour sa sortie en février 2021, même s’il s’attend « à des modifications substantielles dans le calendrier de sorties ». Thierry de Segonzac conclut sur une note optimiste : « L’image sera toujours là et le désir de cinéma est intact. »
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