Congrès FNCF 2025 : Entretien avec Aurélie Delage, Présidente de la Commission Éducation à l’image

Aurélie Delage au Congrès FNCF 2022 © Jean-Luc Mege/FNCF

Édouard Geffray présentera son rapport sur l’éducation à l’image aujourd’hui à Deauville, lors d’une table ronde avec les exploitants. Avant-première avec Aurélie Delage, qui préside depuis 2020 la commission dédiée de la Fédération nationale des cinémas français.

« Nous militons pour qu’aucun élève et aucun territoire ne soit exclu ».

On attendait depuis longtemps ce rapport d’Édouard Geffray, sur l’éducation à l’image en général et les dispositifs Ma classe au cinéma en particulier. Comment l’accueillez-vous ?  

Je suis d’abord très contente – et soulagée – qu’il ait été publié, malgré la chute du gouvernement. Ce rapport, factuel et limpide, dresse un constat très éclairé des dispositifs existants, et prône une éducation au cinéma pour les jeunes, comme « exacte antidote » à l’addiction aux écrans –, avant les conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur la plateforme TikTok. 
Les 19 propositions d’Édouard Geffray s’appuient sur une vraie documentation et ses auditions de tous les partenaires. Elles vont au-delà de la salle mais en rappellent l’importance, en précisant que dans les zones où il n’y a pas de cinéma, il faut soutenir les itinérants. Il souligne aussi le côté très uni de la filière : si un maillon est en difficulté, c’est tout l’écosystème qui est en danger. Reste maintenant la grande interrogation : quels vont être les moyens budgétaires pour appliquer ces propositions ?

Édouard Geffray évoque aussi le financement…

Pour ce qui est de sécuriser les projets des coordinations territoriales, nous savons qu’il y a une vraie volonté du côté du CNC et que Gaëtan Bruel est très impliqué. Mais sur le financement de la billetterie via la part collective du pass Culture, le contexte budgétaire et gouvernemental actuel ne dissipe pas les inquiétudes sur les crédits alloués par le pass et l’engagement des collectivités territoriales. La mission d’Édouard Geffray n’était pas de trouver les financements ; on sait que toutes les mesures ne seront pas appliquées immédiatement, mais ce rapport, officiel, pose un cadre et donne un cap. 

Quels que soient les politiques et ministres qui suivront, peuvent-ils ignorer la première proposition, qui est d’adosser l’éducation au cinéma et à l’image aux programmes scolaires ?

Cette première mesure est centrale et c’est le point de départ de tout ce qui est à bâtir, d’autant qu’Édouard Geffray souhaite son application pour la rentrée 2026. Cela sacralise le cinéma comme un réel outil pédagogique, pour tous les enseignants, dans toutes les disciplines, pouvant favoriser les passerelles entre différentes matières. Cela pouvait déjà exister mais reposait sur la conviction de certains professeurs : l’idée est désormais de passer de 10 % des enseignants inscrits aux dispositifs à 100 %. 

Le rapport reprend-il aussi des propositions concrètes de votre commission ? 

À la FNCF, nous sommes conscients que les dispositifs, qui ont plus de 30 ans, doivent évoluer. Notre ligne rouge, c’est que les séances doivent avoir lieu DANS les salles, et c’est ce que nous avons défendu auprès d’Édouard Geffray. Nous comprenons par ailleurs que des enseignants puissent suivre des formations en ligne – surtout si elles doivent se faire hors temps scolaire – et que l’accompagnement des films évolue, mais sans rien renier de leur niveau d’exigence et leur qualité. 

Sur les films des dispositifs, il faut garder un socle commun pour les élèves via les catalogues, très vivants car renouvelés tous les ans – et par ailleurs garants des conditions de location négociées avec les distributeurs, propres au cahier des charges Ma classe au cinéma. Mais sur les 3 films retenus chaque année par les comités de pilotage locaux, nous avons proposé en effet plus de souplesse, soit la possibilité pour l’enseignant de choisir parmi d’autres films du catalogue en fonction de son projet pédagogique. Des professeurs peuvent être mal à l’aise avec certains films imposés, comme cela nous est remonté, et cela ne doit pas les faire renoncer à s’inscrire au dispositif. 

Et sur le statut de “professeur ami du cinéma” ?

Notre commission avait proposé en Conseil fédéral la création d’une “carte enseignant”, pour ceux qui participent aux dispositifs, sachant qu’ils sont prescripteurs auprès de leurs élèves. Cette carte pourrait leur donner droit à un tarif réduit, au libre choix de la salle, mais l’idée est surtout que chaque exploitant tisse ou renforce ses liens avec les enseignants. Localement, certains collègues proposent déjà ce type d’avantage, ce qui est une piste facile à mettre en place et adaptable. On ne peut rien imposer aux exploitants, mais il est essentiel qu’ils s’impliquent vraiment dans les dispositifs, notamment en participant systématiquement au comité de pilotage. 

Il faut quand même rappeler que les ministères ont confié cette mission à M. Geffray en reconnaissant les conséquences de certaines décisions… 

Les réformes dans le second degré annoncées à l’été 2023 – sur le Remplacement de courte durée et la formation des enseignants – ont eu un impact dès la rentrée suivante sur certaines académies – comme en Normandie où la présence aux formations a pu passer de 90 à 5 enseignants – et s’est généralisé à la rentrée 2024/25. Or si de nombreuses ressources pédagogiques existent, notamment sur la plateforme Nanouk développée par l’Archipel des lucioles, ça ne remplace pas la formation, indispensable sur des films aux sujets sensibles, qui peuvent susciter des polémiques et réactions des familles. Sans accompagnement, on peut perdre des enseignants. 

On sait aussi que le gel de la part collective du pass Culture, en janvier dernier avec une brutalité imprévisible, a entraîné l’annulation de nombreuses séances prévues sur les 2e et 3e trimestres et un sentiment de flou général, dans l’attente du budget de la prochaine année civile. Ce flou n’a pas été dissipé avec l’annonce, mi-juillet pendant les vacances scolaires, d’un complément d’enveloppe de 15 millions d’euros, ce qui ne représente que 3 euros par élève. Nous craignons qu’il y ait vite des blocages mais n’avons pas encore de retours clairs du terrain : la rentrée est récente et pour l’heure, les coordinations sont en train de valider les inscriptions des établissements aux dispositifs. 

Quelle est la position de la FNCF sur l’encadrement de cette part collective ?

Dans le contexte actuel, nous appelons à une certaine responsabilité. On ne peut pas appliquer n’importe quel tarif pour des séances scolaires, qui font partie de nos missions d’exploitants : même si on ne gagne pas beaucoup d’argent, on fait un pari sur l’avenir. Sur le contenu, on ne peut pas tout mettre sur la plateforme Adage et la réflexion doit être menée avec les chefs d’établissements et les enseignants sur ce qui est éligible. Mais nous pensons que l’on peut aussi proposer des films qui ne sont pas labellisés art et essai, dès lors qu’ils présentent un intérêt pédagogique (en VO, ou illustrant une thématique du programme scolaire).

A-t-on mesuré précisément la baisse d’entrées liée à la baisse des inscriptions aux dispositifs (- 16 % en moyenne sur Collège et cinéma) ?

Pour l’année scolaire 2024/25, nous attendons les chiffres consolidés qui devraient être précisés au Congrès, pour connaître le nombre de séances effectives, mais aussi le nombre de celles qui n’ont pas pu avoir lieu sur les deux derniers trimestres, y compris hors dispositifs nationaux. Sur la fin de l’année scolaire par exemple, qui traditionnellement est une période de sorties plus “libres” pour les classes, il n’y a quasiment pas eu de séances en 2025. Et sur une année, les entrées liées aux scolaires – environ 5 millions – ont un poids significatif [le rapport Geffray mentionne que Ma classe au cinéma peut représenter jusqu’à 30 % du public de certaines salles art et essai]. On peut dire que la baisse générale de la fréquentation est liée, aussi, à la baisse des séances scolaires. 

Les dispositifs École et Maternelle sont-ils aussi touchés par cette baisse ?

Globalement les inscriptions restent stables pour les établissements du primaire. Maternelle au cinéma, dispositif le plus récent, est plébiscité par les enseignants, car c’est une sortie culturelle structurée et très adaptée aux plus petits [voir p.62]. École et cinéma n’a pas subi de dommages collatéraux des réformes, et notre maillage territorial, couplé au travail des itinérants, permet à une majorité d’écoles d’aller au cinéma. Reste qu’il y a de grandes inégalités selon les territoires : là où le coût des transports explose, où les collectivités se désengagent, certains élèves sont privés de cinéma et il peut y avoir une tentation de faire la projection en classe.

Ces inégalités remettent-elles en cause la dimension nationale des dispositifs ?

C’est notre grand souci : les moyennes ne reflètent pas les réalités de chaque territoire. On constate cette disparité depuis des années et c’est très frustrant : malgré notre maillage exceptionnel de 2 000 établissements, on a parfois du mal à faire déplacer les élèves pour des problématiques économiques. C’est terrible de constater que des politiques considèrent la Culture comme une éducation à la citoyenneté et que pour d’autres, elle ne sert à rien. On ne peut demander aux familles de prendre en charge le coût de la place et du transport dans certaines régions et pas d’autres, de même que l’on ne peut pas demander à un mono-écran isolé et sans médiateur de faire tout le travail d’animation et de formation que peut faire un cinéma très soutenu. Par ailleurs, dans certaines grandes villes, on refuse des demandes d’établissements scolaires par manque de capacités des salles. Nous continuerons donc de militer pour un socle commun, pour qu’aucun élève et aucun territoire ne soit exclu. 

La table ronde « Éducation au cinéma à l’occasion de la présentation du rapport Geffray« , à 15h ce 23 septembre, sera retransmise en direct par ici.

Aurélie Delage au Congrès FNCF 2022 © Jean-Luc Mege/FNCF

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