À la veille des réunions qui vont rassembler les représentants des trois branches ce mardi 24 septembre à Deauville, René Kraus décrit le regain d’énergie d’une grande exploitation qui a retrouvé, avec l’offre de films, tous ses atouts, mais qui a besoin de réformes en profondeur, notamment du fonds de soutien et des CDACi.
Comment vont les établissements de la grande exploitation ?
Après une première partie d’année cataclysmique pour tous, Un p’tit truc en plus a créé la surprise et relancé la fréquentation pour annoncer finalement, un été très favorable avec Vice-Versa 2, Moi, moche et méchant 4, Deadpool & Wolverine et, bien entendu, Le Comte de Monte-Cristo. Mais si le recul de fréquentation, au niveau de l’ensemble de l’exploitation, n’est plus que de -5 % par rapport à l’année précédente, la grande est à -14 %, et à -27 % par rapport à 2017-2019. Sur ce même référentiel, le retard de certains multiplexes atteint même les -31 % ! Avec l’offre américaine qui progresse au fur et à mesure et l’offre française qui s’annonce pour la fin d’année, nous pensons atteindre, au global, les chiffres de 2023. Reste que, même si elle bénéficie de la reprise, notre branche demeure la plus impactée.
La capacité d’investissement est-elle préservée ?
Les groupes comme les indépendants poursuivent quand même leurs investissements, car si on n’investit pas, on n’avance pas. Certains le font avec la montée en gamme, d’autres sur des éléments plus techniques. La grande exploitation est dans un mouvement de premiumisation, qui est un gage de qualité, mais tout ceci se réalise dans un environnement économique difficile, où les taux d’intérêt des prêts posent problème.
Dans ce contexte, comment la grande exploitation perçoit-elle l’enjeu écologique ?
Le développement durable s’impose à nous, notamment avec le décret tertiaire concernant les bâtiments. Côté équipements, certaines régions, comme le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine, ont aidé certains cinémas de leurs territoires à investir dans la projection laser. La grande exploitation pourrait aussi bénéficier du soutien des collectivités pour cette transition. Nous travaillons à mettre en place des dispositifs favorisant l’évolution écologique de nos cinémas, par paliers. Actuellement, le plus important, pour nous, est de remonter les entrées ; et nous sommes sur le bon chemin.
Ne craignez-vous pas que le modèle des grands multiplexes ait été durablement ébranlé dans l’après-Covid ?
Je ne crois pas qu’il y ait un changement profond dans l’attrait de nos établissements ; quand les blockbusters et les gros succès sont là, le public est là. Alors certes, il y a une concentration sur quelques titres, mais pas une désaffection. Et n’oublions pas que dans notre système mutualisé, la grande exploitation est la plus grande pourvoyeuse de TSA et, à cet égard, primordiale pour l’ensemble de la filière.
À ce titre, avez-vous des attentes particulières en matière de soutien qui pourrait être apporté à votre branche ?
À la Fédération, un groupe de travail planche actuellement sur la réforme du SFEIC* qui n’a pas été réévalué depuis 2012. Les barèmes, les planchers, les taux de retours devraient être plus en rapport avec la réalité du terrain pour l’ensemble de la profession. Une commission a d’ailleurs été créée pour traiter de la problématique du fonds de soutien et cela nous rassure car cela profitera à toutes les branches. N’oublions pas que nous formons une seule Fédération.
Quelles sont vos autres attentes en matière d’évolution de réglementations ?
Les CDACi aussi doivent être réformées, car elles ne proposent pas, actuellement, assez de critères concurrentiels et d’aménagement du territoire pour évaluer la pertinence d’une implantation.
Quant aux engagements de programmation, nous négocions toujours avec le CNC pour trouver un accord qui tendrait vers un assouplissement de ceux-ci, notamment sur un pourcentage de nombre de séances. S’il n’y a pas une adhésion unanime dans notre branche, la grande majorité est favorable à plus de souplesse et moins de dogmatisme.
Et du côté des distributeurs ?
Avec la fin des VPF, nous constatons des plans de sorties plus importants, voire pléthoriques. Nous ne voulons stigmatiser personne, mais le fait que les cinémas qui, auparavant, passaient les films en troisième ou quatrième semaine, les obtiennent en sortie nationale, crée des situations de concurrence qui nous semblent déloyales vu la différence de tarification entre nos établissements. Les préconisations du rapport Cluzel sur la distribution pourront peut-être apporter de la régulation sur ce sujet.
Par ailleurs, entre les investissements en publicité TV des uns, et les économies réalisées sur la communication des autres, certains films sortent sans aucune véritable communication. Cela est particulièrement valable pour des films plutôt grand public…. qui ne sont pas connus du public !
Au fond, ne retrouvons-nous pas là le plus grand besoin de l’exploitation, toutes branches confondues : les films ?
Exactement. La grande exploitation peut se régénérer, poursuivre ses investissements dans un service de qualité… mais il y a des types de films faits pour la télévision que le public ne veut plus voir en salles. Il attend qu’ils se démarquent par leur qualité de production, notamment scénaristique. Comme Monte-Cristo cette année, comme Les Trois Mousquetaires l’année d’avant, comme les Aznavour et Sarah Bernhardt, la divine à venir… Le retour de l’offre américaine et la dynamique de la production française nous donnent énormément d’espoir.
* Soutien financier de l’État à l’industrie cinématographique
Propos recueillis par Aysegül Algan
Partager cet article