À la veille des réunions qui vont rassembler les représentants des trois branches ce mardi 24 septembre à Deauville, Rafael Maestro évoque la santé de la « petite » branche qui semble avoir le mieux résisté aux tourments de la fréquentation, mais qui n’en est pas moins épargnée par les tensions économiques comme de programmation.
Moins impactée par la baisse de fréquentation observée depuis la crise sanitaire, la petite exploitation est-elle dès lors plus préservée des problématiques économiques ?
Fin août, et particulièrement après les mois de juin et juillet mirobolants de cet été, notre branche est repassée à un bilan positif par rapport à l’année 2023, désormais référence : ses entrées sont en hausse de +4 %. Certes, comparés à des multiplexes de 12 ou 15 écrans, nos établissements souffrent moins de la baisse de l’offre de films. Mais ils doivent faire face aux mêmes complexités économiques que les autres branches, avec des marges faibles et des trésoreries d’autant plus tendues que les PGE contractés durant la crise du Covid arrivent à échéance. Il est donc plus difficile pour les exploitants, les petits comme les grands, de se projeter dans des projets d’investissements ou de recrutement : notre modèle économique dégage des marges trop faibles, alors que les besoins en investissements sont pourtant avérés.
Dans ce contexte, quelle est la capacité de ces exploitations à s’engager sur les enjeux écologiques ?
Si le coût de l’énergie est à nouveau acceptable et stable, l’intervalle de la crise a conduit les exploitants à analyser leur consommation, chercher d’autres fournisseurs et mieux assumer le pilotage énergétique de leurs salles. Donc parallèlement à la question du renouvellement – ou rétrofit – du matériel de projection, il y a désormais une vraie maîtrise dans la gestion énergétique des établissements. Cette prise de conscience va s’accélérer avec le Congrès de la FNCF, où le sujet de l’écologie des cinémas sera central, notamment lors de la table ronde du mercredi.
Vous faites d’ailleurs aussi partie de la nouvelle commission ad hoc qui œuvre sur le sujet depuis un an. La petite exploitation est-elle confrontée à des défis spécifiques dans la transition écologique ?
Entre les salles en DSP, les associatives, les municipales, les privées… Notre branche est composée de typologies très variées de cinémas. Or, en fonction du statut et du régime de son établissement, un exploitant est plus ou moins éloigné de la responsabilité et du pilotage de l’énergie. Sans compter ceux qui, intégrés à un établissement culturel de plus de 1 000 m², sont concernés par le décret tertiaire.
Cette distance à la décision peut constituer des motifs d’inquiétude supplémentaires, mais je suis persuadé que les propositions de la commission Écologie des salles vont accélérer la prise de conscience de l’enjeu et, surtout, son intégration dans le quotidien des cinémas. Pour cela, il faut aussi bien convaincre les publics des cinémas que leurs équipes.
Nous resterons bien entendu très attentifs aux retours de la petite exploitation à la suite de la table ronde du mercredi pour déterminer les besoins les plus immédiats.
Dans l’ensemble, comment la branche a-t-elle perçu la récente réforme de l’art et essai présentée à Cannes en mai dernier, et finalisée fin juin ?
Le choix du CNC de minorer les films porteurs [dépassant les 750 000 entrées, ndlr.] et de renforcer la partie sélective de l’aide, avec de nouveaux critères, implique un surcroît d’animations, de médiations, de communication… donc autant de ressources humaines qui font défaut. Les petites salles fonctionnent avec des équipes réduites, un peu “à l’os”, et parfois épuisées comme le font remonter certains de nos collègues à la commission RH, mise en place l’année dernière face aux difficultés de recrutement que connaît l’ensemble du secteur. C’est pourquoi nous attendons beaucoup des prochaines commissions régionales ou interrégionales art et essai, début 2025.
Mais pour qu’elles soient en mesure d’évaluer les dossiers avec le plus de justesse possible, il leur faut accueillir des représentants d’associations territoriales [Rafael Maestro a présidé durant de nombreuses années et jusqu’à juin dernier le groupe des associations territoriales de l’Afcae, ndlr.]. Aux côtés du conseiller Drac, ils seront en mesure de donner des éléments de contexte et donc une vision objective de la situation des établissements, de leur gestion, de leur gouvernance… Par exemple, si les activités Jeune public d’un cinéma sont en baisse, c’est parfois juste parce que la personne en charge n’est plus là et n’a pas pu être remplacée. Sur l’ensemble de sujets, on ne peut passer en revue les dossiers de 1 200 cinémas à travers le pays sans l’analyse affinée qu’apporteront les représentants d’associations territoriales.
Cette année, peut-on s’attendre à une évolution notable dans les problématiques de programmation pour la petite exploitation ?
Comme précédemment rapporté par Christine Bentabet de la commission petite exploitation, depuis la mutation numérique, l’augmentation de 30 % du nombre de séances n’a pas été accompagnée d’une hausse de la fréquentation. La moyenne de 30 spectateurs par séance observée en 2011 oscille, en 2023, entre 15 et 17 spectateurs, avec 45 à 50 % de séances à moins de 10 spectateurs pour les cinémas de notre branche. Or, de par la nature des établissements, le coût de la séance (entre coût du personnel et de l’énergie) est plus important dans la petite exploitation que dans la moyenne et la grande. Certes avec la fin des VPF, nous observons un gain de deux semaines dans l’accès aux films porteurs… mais là encore sans augmentation des entrées, et dans un contexte de “cannibalisation” entre les distributeurs, qui veulent tous, bien entendu, faire exister leurs films. Après le Congrès de l’année dernière, et face au constat d’être arrivés à la fin d’un “cycle” dans nos relations avec les distributeurs, notre branche a mis en place une sous-commission consacrée à la diffusion des films en salles. Sa mission est de proposer de nouveaux critères de négociation, qui seront présentés et discutés lors de notre réunion au Congrès.
Où en est le péril qui pèse sur les dispositifs d’éducation à l’image depuis les derniers aménagements de l’Éducation nationale ?
Nous avons déjà constaté de considérables dégâts dans la capacité de mobilisation des dispositifs, a fortiori dans les rectorats les moins “permissifs” en matière de formation, depuis le guide de remplacement courte durée. À cela s’ajoute, pour cette rentrée, la mise en place de groupes de niveau – désormais appelés groupes de besoin –, qui font que les 6e et 5e ne sont quasiment plus rassemblés en classe entière, et qui rendent impossibles les sorties sur le temps scolaire. De fait, nous observons une baisse d’effectifs préoccupante pour Collège au cinéma, dispositif historique qui reste la clé de voûte de l’éducation à l’image, pour la tranche d’âge où il est le plus important d’avoir une action forte.
Côté collectivités territoriales, avec 25 à 30 % des conseils départementaux à des niveaux d’alerte budgétaires, les coordinations ont par ailleurs de grandes difficultés pour financer les places de cinéma et les transports, avec des conséquences particulièrement lourdes pour le milieu rural. Enfin, nous observons de plus en plus de frilosités face à certains sujets de films, sur lesquels certaines coordinations, sous la pression de familles, voire d’organisations de parents d’élèves, refusent de s’engager. Or, au-delà de l’enjeu du renouvellement des publics – qui reste un axe prioritaire du CNC –, l’éducation aux images et au cinéma reste avant tout un enjeu de préservation de notre modèle démocratique, via la construction d’un regard critique.
C’est une situation d’autant plus inquiétante qu’il existe un tissu d’acteurs extrêmement dynamique avec des initiatives et expérimentations qu’on ne valorise pas assez : pôles d’éducation aux images, festivals, associations territoriales de cinémas… Nous héritons d’un modèle à défendre, et sans aucun doute à réinventer.
Propos recueillis par Aysegül Algan
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