Congrès FNCF 2024 : Rencontre avec Cédric Aubry, président de la branche moyenne exploitation

Cédric Aubry (Cinémas Confluences) © Isabelle Nègre

À la veille des réunions qui vont rassembler les représentants des trois branches ce mardi 24 septembre à Deauville, et alors que le niveau de fréquentation des établissements de la moyenne exploitation se rapproche des niveaux pré-Covid, Cédric Aubry alerte sur les disparités de leurs situations économiques et dépeint la spécificité de leurs implantations.

Comment vont les établissements de la moyenne exploitation ?

Actuellement, notre retard de fréquentation est de seulement -3 % par rapport à l’année 2023, et de -7 à -8 % par rapport à la moyenne de 2017-2019. Avec la perspective d’un quatrième trimestre bien plus costaud que celui de l’année précédente, nous devrions finir 2024 pas loin des équilibres pré-Covid. Certes, entre-temps, nous avons dû nous adapter, parfois douloureusement – et pas toujours de manière homogène – pour passer le cap des charges accrues, notamment d’électricité, et des remboursements de PGE. Mais notre branche est essentiellement composée d’indépendants privés, qui ont su faire preuve d’agilité et rester proches de leur public, avec des stratégies et visions spécifiques à chaque lieu et à chaque entreprise. Nous pouvons désormais voir les choses avec plus de sérénité.

Cette « sérénité » est-elle la même pour tous les établissements de la branche ?

Certes, les cinémas du “haut” de la moyenne exploitation, qui tendent vers 450 000 entrées, sont plus tributaires des grosses productions américaines, dont il nous reste à savoir si la diminution de l’offre est conjoncturelle ou structurelle. Comme durant l’été Barbenheimer de 2023, l’été 2024 a été tiré vers le haut par quelques titres : Vice-Versa 2, Moi, moche et méchat 4 et bien entendu Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte-Cristo. Sur les prochains mois et jusqu’à l’été 2025, entre les propositions conséquentes de films français et une offre américaine cohérente, nous aurons un aperçu complet du “nouveau normal” à l’aune duquel chaque cinéma pourra évaluer sa fréquentation. Ce dont nous pouvons être sûrs désormais, c’est qu’aussitôt que l’offre est là, le public est là… pour peu que cette offre ait été présentée de manière assez qualitative.

Qu’entendez vous par “une offre présentée de manière assez qualitative”  ?

Il faut bien constater qu’il y a pléthore de films qui arrivent dans les villes petites et moyennes dans un anonymat total, vu que les éditeurs ont oublié la communication en salles. Exit les kakémonos, les PLV, et bien entendu la diffusion payante de films-annonces en avant-séance qui s’étiole au profit d’une stratégie de publicité à la télé, désormais devenue définitive, ou d’une communication digitale où chaque distributeur rêve de trouver un influenceur qui lui permettra de toucher sa cible. Ce saupoudrage “d’un peu de tout” aboutit à des campagnes souvent stéréotypées, parfois baroques. Et pourtant, rien n’est plus prescripteur qu’un film annonce vu en salle, et nous avons des cinémas qui savent communiquer.. Nous avons eu une Fête du Cinéma record en juin, un splendide juillet… sans suffisamment tirer parti de la salle de cinéma, où la com’ a pourtant toujours porté ses fruits. 

Quand on parle de la qualité des films, la qualité des salles n’est jamais loin….

En effet. Autant nous n’avons pas la main sur l’offre de films, autant nous l’avons sur la rénovation de nos cinémas. Notre public veut des cinémas de qualité, du confort – le fauteuil est devenu très important –, du bon son… Force est de constater qu’après celui des multiplexes, puis de la numérisation, nous sommes entrés dans un nouveau cycle : celui de la montée en gamme, que je préfère au terme de “premiumisation”. 

Toute la moyenne exploitation est-elle prête à se lancer dans ce nouveau cycle ?

Elle pourrait avoir un petit retard à l’allumage, adoptant la stratégie du “dos rond” jusqu’à la fin des remboursements des PGE en 2026.

Quid de l’engagement dans la voie écologique ?

L’écologie est une politique de petits pas, et je crois que la sensibilisation à nos consommations énergétiques est déjà bien entamée. Tout le monde a notamment identifié l’économie instantanée permise par la projection laser. Reste à voir si, dans les années à venir, les collectivités disposeront d’assez de ressources pour accompagner cette transition, tout comme l’aide sélective du CNC.

En matière d’écologie, il faut parfois se dégager d’une vision “grandes villes”, avec l’idée que le cinéma doit être implanté entre la mairie et l’église.

Sachant que la majorité de l’empreinte carbone d’un cinéma provient du déplacement du public, la moyenne exploitation est-elle moins “vertueuse” que la petite, car souvent implantée en périphérie des villes ?

La prototypie de nos lieux fait qu’il n’y a pas de baguette magique, ni de voie unique pour être vertueux. Si la plupart des cinémas de la moyenne exploitation ne sont en effet pas en centre-ville, la majorité de son public est celui de la ruralité, qui vient des villages alentour, sans transports en commun. Nous devons donc pouvoir nous poser la question, très contre-intuitive, de l’accessibilité en voiture de nos cinémas. Il n’y a pas grand sens à augmenter la dépense carbone en faisant trois fois le tour de la ville pour se garer. Il faut parfois se dégager d’une vision “grandes villes” dans les prises de décisions, avec l’idée que le cinéma doit être implanté entre la mairie et l’église… et ne pas oublier qu’un cinéma en périphérie d’une ville moyenne est juste à 5 min à vélo du centre !

Où en est la branche dans ses points d’achoppement du “lundi matin” avec les distributeurs, et dans sa position sur les engagements de programmation ?

Il y a un délitement du rapport entre une programmation très parisienne du côté des éditeurs de films et notre connaissance du territoire. Les distributeurs veulent les meilleures séances et les plus grandes salles, ce qui mène parfois à des hérésies par rapport à notre relation de proximité avec le public. Par ailleurs, le nouveau cycle de rénovation dans lequel nous nous sommes engagés se traduit en une réduction drastique du nombre de sièges. S’il n’est plus question de sortir les 6-7 écrans des engagements de programmation, on ne peut pas pour autant traiter un 6 salles de 500 fauteuils de la même manière qu’un 6 salles de 2 000 fauteuils. Le CNC doit donc apporter de la souplesse dans la négociation des engagements. Nous sommes tous convaincus de l’enjeu de la diffusion, y compris sur l’art et essai ; mais aucun exploitant ne fait sa programmation avec un tableur excel. Nous programmons nos cinémas en connaissance de notre public, en essayant de faire au mieux, toujours avec une petite prime au film français, à la diversité… L’équilibre vient naturellement. 

Justement, comment la branche se positionne-t-elle par rapport à la récente réforme de l’art et essai ? 

Le choix du CNC de privilégier « les salles qui prennent le plus de risque ou les plus engagées » revient, concrètement, à privilégier l’accompagnement de 30 ou 40 cinémas de catégorie A et B, dont personne ne remet l’excellence du travail autour de l’art et essai. Encore une fois, il n’est pas question d’opposer les salles entre elles. Néanmoins, force est de constater que, dans une enveloppe fermée, ce choix de revalorisation qui concerne les salles de grandes villes revient à valoriser les publics CSP+ qui fréquentent ces lieux, au détriment de “l’art et essai des champs”. A minima, il s’agit d’une erreur de vision de ce que doit être la création du public art essai, tellement plus difficile à créer dans la ruralité. 

Où en est le péril qui pèse sur les dispositifs d’éducation à l’image depuis les derniers aménagements de l’Éducation nationale ?

Même si dans la profession, il y a un florilège d’autres propositions locales, de dispositifs annexes, et finançables par le volet collectif du pass Culture, il est fondamental de préserver les dispositifs nationaux, car ils sont le socle commun qui permet de “faire sens”. Le socle sur lequel nous construisons les publics de demain, qui deviendront des cinéphiles qui fréquenteront les salles art et essai ou prendront une carte illimitée. Le socle qui permet à un môme, qu’il soit de Perpignan, de Lille, de Brest ou de Paris, de connaître par exemple le cinéma d’Agnès Varda. Quoi de plus important que des repères communs pour faire société ? Et cette société, c’est avant tout au cœur des territoires qu’elle se crée. D’où l’importance d’une source de financement régulière, assumée par les collectivités, ou pourquoi pas par la part collective du pass Culture… pour peu qu’il soit pérenne.

Propos recueillis par Aysegül Algan

Cédric Aubry (Cinémas Confluences) © Isabelle Nègre

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