À la veille du 79e Congrès des exploitants à Deauville, le président de la Fédération nationale des cinémas français dresse le bilan d’une année contrastée où, face aux disparités croissantes, le système de mutualisation doit plus que jamais jouer son rôle de maintien de l’unité et de la résilience du secteur.
En propos liminaire, quel est le moral des troupes en cette veille de Congrès ?
L’année que nous vivons est pour le moins contrastée ! D’un côté, nous avons démarré avec des semaines d’exploitation parmi les plus mauvaises que l’on n’ait jamais connues, avec très peu de films américains, excepté Dune : Deuxième Partie fin février et quelques longs-métrages français qui ont tiré leur épingle du jeu… Puis, est arrivé le miracle du 1ᵉʳ mai : Un p’tit truc en plus. Mais attention, ce miracle ne tombe pas du ciel, il est le fruit de la réussite d’un système mis en place par les pouvoirs publics, qui permet de produire dans notre pays aussi bien un blockbuster français à 8 millions d’entrées, comme Le Comte de Monte-Cristo, qu’un petit film qui n’a pas coûté grand-chose et passé sous les radars, comme le film d’Artus… Un de ces fameux films du milieu dont on dit qu’ils ont tellement de mal et qui finalement atteint 10 millions d’entrées !
Il y a donc un sentiment de soulagement. Cela fait plusieurs dizaines d’années que nous n’avions pas eu une telle conjonction, avec trois films français au-dessus de 8 millions d’entrées. Tout cela, dans un contexte de Jeux olympiques lors desquels certains prédisaient un effondrement total de la fréquentation, ce qui n’est pas arrivé. À l’exception de certains sites parisiens, dont le décrochage, au-delà des JO, nous inquiète particulièrement.
Quoi qu’il en soit, à la fin de l’été, la fréquentation était à -5 % depuis janvier par rapport à 2023, et à -3 % sur les 52 dernières semaines, ce qui nous laisse espérer une année meilleure que 2023. Au vu de l’offre de films qui arrive, les 182 millions d’entrées sont atteignables. La salle de cinéma est au cœur du système, toujours désirable, résiliente, et le modèle français fonctionne. Cette “année normale”, que nous attendons depuis la sortie de la Covid, sera, nous l’espérons, 2025 !
Malgré le retour des entrées, les salles de la grande exploitation peinent à remonter la pente et à retrouver un équilibre financier. Craignez-vous que cela puisse peser sur l’unité du secteur ?
Peser sur l’unité, le mot est un peu fort ! Il est clair qu’il y a une disparité importante entre les différents types d’exploitation. La petite va beaucoup mieux que la moyenne qui, elle-même, va beaucoup mieux que la grande. Des entreprises sont en situation de fragilité dans tous les segments, mais macro-économiquement, c’est la grande exploitation qui souffre le plus. Il s’agit d’un risque majeur sur l’ensemble de la chaîne, car les plus grands financent le plus notre système de mutualisation. Et cela ne peut fonctionner que si l’ensemble de la profession est solidaire. Cette unité fait notre force et sa défaillance serait catastrophique. Soyons très vigilants, c’est une préoccupation majeure de la Fédération comme du CNC, qui impose la solidarité de tous.
Quels sont les leviers à mettre en place pour retrouver un équilibre ?
Les leviers d’action sont assez identifiés. Nous travaillons sur la réforme du compte de soutien à l’exploitation, qui est la colonne vertébrale de notre système de mutualisation. Il est toujours utile de le rappeler : il ne s’agit pas d’argent public mais d’argent DU public, qui ne coûte pas un euro au budget de l’État.
Aujourd’hui, le taux de retour, conçu pour permettre aux exploitants d’investir, n’est plus favorable aux salles, en particulier à la grande exploitation. Non seulement, ce taux s’est dégradé à cause de l’inflation grandissante, mais le barème, qui n’a pas évolué depuis 2012, est devenu moins efficace pour l’ensemble des exploitants, sans compter la baisse de 5 % des coefficients en 2020. La salle de cinéma de 2010 n’a rien à voir avec celle de 2024 ! Il y a 15 ans, le numérique commençait à peine, les multiplexes se structuraient. Aujourd’hui les salles se sont premiumisées, l’offre de films a augmenté, les habitudes ont changé, les abonnements et la fidélité se sont développés. Il nous faut, nous aussi, rénover, moderniser et adapter le système à notre parc actuel, en nous gardant bien de tout dogmatisme. Depuis des années, une des revendications majeures de la Fédération, est que le taux de retour moyen reste autour de 50 %, ce qui est de moins en moins le cas aujourd’hui. Il faut que les coefficients minimums soient rehaussés. Ça n’enlèvera rien aux plus petits, mais apportera davantage aux plus grands. Nous avons interrogé le CNC sur plusieurs hypothèses ; nous attendons sa réponse pour arbitrer entre nous et répondre de façon collective. D’autre part, nous pensons que toutes les salles de cinéma, y compris les grandes, puissent avoir accès aux dispositifs comme ceux de l’éducation aux images ou ceux de plans régionaux de soutien à la fréquentation.
Lors du dernier Congrès, votre aspiration était que les salles continuent d’investir pour rester attractives afin de soutenir une fréquentation à la peine. Quel est le bilan un an après ? Qu’en est-il de leur capacité d’investissement ?
Investir dans nos salles est un mouvement perpétuel. Depuis la création des cinémas, ils n’ont eu de cesse d’offrir au public la meilleure expérience possible, ce n’est jamais fini. Aussi bien sur le plan technologique que de l’accueil et de l’éditorialisation des séances. Mettre l’affiche sur la façade ne suffit plus, il faut continuer à développer tous les événements en plus des actions pour les jeunes comme les ciné-clubs, les ateliers de pratique artistique… au développement desquels le dispositif 15-25 – désormais intégré dans le classement global art et essai – a beaucoup contribué. Pour mettre tout cela en place, il ne faut pas oublier de travailler sur l’attractivité de nos métiers : s’adapter, former et recruter nos collaborateurs, ce sont des sujets dont la filière s’empare et dont nous parlerons au Congrès.
Je salue la résilience de mes collègues dans cette période difficile où les trésoreries ont été durement attaquées. Avec le retour des films américains et des spectateurs, les capacités d’investissements des salles sont meilleures, même s’il faut rester raisonnables dans nos prévisionnels, sachant que les coûts des travaux continuent de s’envoler et que nous ne sommes pas revenus à un marché de 200 millions de spectateurs. Concernant les PGE, nous arrivons au bout, et pour certaines salles, ce sera une vraie respiration. L’énergie est revenue à un coût plus supportable ー même si toujours loin des niveaux antérieurs ー grâce aux possibilités de renégociation des contrats et d’une meilleure maîtrise de l’énergie.
L’écologie sera d’ailleurs un des sujets majeurs du Congrès cette année.
Nous devons maintenir et accentuer nos bonnes pratiques car l’éco-responsabilité est un sujet essentiel. Je suis très fier du travail de Marie-Christine Desandré et de la commission “Écologie des cinémas”, ainsi que de tous nos collègues qui se sont emparés de la question. Plus de 60 % des exploitants ont répondu au questionnaire pour préparer et finaliser nos travaux. La commission a fait un travail remarquable, avec le soutien du CNC, qui sera présenté au Congrès afin de proposer des outils, des fiches techniques et des formations, entre autres. C’est un sujet capital sur le plan économique, pour l’image de notre secteur, et bien sûr, pour la planète ; le début pour tout le monde d’une trajectoire et de nouvelles pratiques que l’on va travailler sur la durée.
Parmi les sujets d’inquiétude pour le secteur, quelles sont les perspectives sur l’éducation aux images, mise à mal depuis presqu’une année ?
Nous sommes dans une situation absolument inédite. C’est un problème structurel qui touche deux millions d’élèves, soit 20 % des élèves !
Face à l’effondrement en 2022-2023 des inscriptions à Collège au cinéma – et Lycéens au cinéma dans une moindre mesure – dans les académies de Nice et Normandie, nous avons rencontré avec Aurélie Delage, qui préside la commission Éducation aux images de la FNCF, des députés, sénateurs, le directeur du cabinet de la ministre de l’Éducation nationale auprès desquels nous avions obtenu des avancées. Aujourd’hui, beaucoup de ces personnes ne sont plus là : nous devons tout recommencer à zéro, et avec de nouveaux interlocuteurs. À cela, s’ajoutent les problèmes financiers des collectivités locales, en particulier les départements, qui financent une partie de ces dispositifs.
Nous avons mis 35 ans à bâtir ces derniers, c’est une priorité qui ne touche pas que le cinéma, mais toute la culture ; nous espérons que le Congrès nous permettra d’avoir une vision d’ensemble.
En parlant de finances, Olivier Henrard a exprimé, dans l’hypothèse où le CNC devrait participer aux efforts budgétaires du gouvernement, être plus favorable à une ponction dans la trésorerie qu’à une réduction du budget du CNC. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?
Nous avons besoin d’un secteur fort ! D’un CNC fort, d’un parc de salles fort, de distributeurs forts, de producteurs forts, avec des finances fortes… sinon on n’y arrivera pas. Qu’il y ait un arbitrage sur les réserves du Centre, entre celui-ci et Bercy, compte tenu de la situation financière de notre pays, c’est de la responsabilité du CNC.
Mais cela ne doit pas aller plus loin : plafonner le budget du CNC, c’est détourner une taxe affectée pour d’autres postes. Encore une fois, il ne s’agit pas d’argent public, mais d’argent du public, des spectateurs de cinéma, des plateformes ou des opérateurs de télévision, qui n’a pas vocation à combler le déficit de l’État, mais à financer les aides à la filière.
Lors de ce 79e Congrès, quelles seront vos autres attentes vis-à-vis des pouvoirs publics, et les projets à mener pour l’année à venir ?
Outre la question écologique, l’éducation à l’image et la protection de notre système de financement, certaines discussions suspendues devront reprendre, sur les engagements de programmation et de diffusion, ou encore l’évolution des CDACi et CNACi. Il faut aussi que le secteur montre sa force et continue le travail qu’il a entamé sur tous les sujets sociaux importants, comme la lutte contre les VHSS et l’accessibilité dont nous parlerons au Congrès en parallèle du corner “ accessibilité ” de l’exposition. Nous restons également vigilants sur la réforme art et essai qui va demander un suivi important et des évolutions. Pour éviter les effets pervers, il faudra que le CNC poursuive son effort financier.
La chronologie des médias sera aussi à l’agenda de cette fin d’année, en attendant la signature du nouvel accord début 2025, auquel nous serons très attentifs. Cette chronologie a montré son efficacité ; nous prônons une certaine stabilité et une reconduction à l’identique de la fenêtre salles. D’autre part, il est primordial de protéger celle du principal financeur du cinéma français, Canal +. Pour le reste, ceux qui souhaitent avancer dans la chronologie devront participer davantage. Nous espérons d’ailleurs qu’il y aura de nouveaux diffuseurs qui signeront le futur accord.
Quels seront les temps forts de ce Congrès des exploitants 2024 ?
Tout d’abord, le 79e Congrès sera responsable ! Nous proposerons aux accrédités de recycler les badges, aux traiteurs d’utiliser des produits locaux, et aux exposants de porter une attention particulière aux matériaux utilisés et au recyclage. Enfin, chacun est incité à venir avec sa gourde.
Avec la perspective du 80e Congrès l’année prochaine, l’équipe de la Fédération a aussi beaucoup travaillé sur la modernisation des habillages, formats, retransmissions etc… et ce n’est qu’un début. Il ne faut pas oublier que le Congrès est purement produit par la FNCF, et qu’il s’agit d’un travail colossal, financé grâce à nos sponsors, partenaires et exposants que nous remercions.
La journée distributeur avec la FNEF s’annonce sous les meilleurs auspices possibles, avec les présentations de 32 distributeurs et d’une dizaine d’équipes de films. Sur l’exposition, nous comptons 74 stands d’entreprises, dont quatre distributeurs, pour toujours autant d’inscriptions, soit plus de 2 000. Enfin, la soirée d’hommage à Valérie Lemercier sera un très grand moment ! C’est une femme exceptionnelle et une grande artiste. Les grands artistes impliquent de grandes responsabilités et de grandes exigences, à un niveau que l’on a rarement connu ! La soirée sera animée, pleine d’invités et de surprises ! Nous proposerons aussi mardi une discussion avec Nicolas Seydoux, président de Gaumont, à l’occasion de la sortie de son livre “Le cinéma, 50 ans de passion”. Nous finirons en beauté avec la soirée de clôture d’AlloCiné et ses partenaires, moment très apprécié des professionnels.
Propos recueillis par Marion Delique
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