Comment décarboner nos cinémas ? Les pistes du Shift Project

Après son rapport intermédiaire de mai dernier, le think tank a rendu, fin novembre, son étude dédiée à l’impact carbone de la culture, dont un volet sur l’exploitation cinématographique.

Dans le cadre de son Plan de transformation de l’économie française, le Shift Project a procédé à une évaluation de l’impact carbone de la filière exploitation qui représente, d’après les calculs, 1,1 million de tonnes d’équivalent CO² par an. Pour alléger leur poids environnemental, les cinémas doivent aller bien au-delà des mesures éco-responsables communément adoptées, en repensant en profondeur leurs espaces et leur implantation…  

LES BILANS

L’impact du déplacement des publics

Avec près de 90 % d’émissions liées à la mobilité des spectateurs, la filière peut prendre la mesure de sa dépendance aux énergies fossiles… et de sa fragilité face à la perspective d’une crise énergétique. Et ceci quelle que soit la typologie d’exploitation, y compris en centre-ville.

Répartition de l’impact carbone des salles de cinéma en France (hors mobilité des spectateurs)

Un bilan carbone « réduit », excluant le déplacement des spectateurs, permet de donner plus de visibilité aux autres masses d’émission. 

Bilan carbone de la cabine de projection

D’après les estimations établies par Workflowers, l’entretien des systèmes de climatisation et le changement de la nature des fluides frigorigènes apparaissent comme une priorité de la cabine de projection (sur une hypothèse d’écran de 10 mètres de base et un fonctionnement de 10 heures par jour). 

Le poids du numérique

En 2019, on estime que 46 % des films ont été envoyés aux salles sur disque dur (donc par fret routier), les 54 % restants par transfert numérique. Face à l’absence de consensus scientifique sur le facteur d’émission des flux numériques, le rapport ne privilégie aucune solution en matière de mode de livraison des œuvres. « Quand bien même on pourrait démontrer que l’envoi numérique d’un film serait moins impactant que son envoi physique, cela ne permettrait pas pour autant de conclure qu’il faut encourager la dématérialisation totale des envois », estiment les Shifters en soulignant ses effets collatéraux, comme la saturation de la bande-passante.

La confiserie et la restauration

En 2019, 32,7 % des spectateurs avaient acheté du pop-corn, 24,8 % une boisson et 16,4 % une confiserie autre que le pop-corn. Rapporté au nombre de billets vendus la même année, l’impact carbone annuel de la consommation confiserie est évalué à 50 000 tCO2eq. Une estimation qui reste à approfondir en précisant davantage les pays de provenance des produits, notamment du maïs, et la fréquence d’approvisionnement des cinémas. 

LES LEVIERS D’ACTIONS

L’évident et l’exigeant

En appliquant un ensemble cohérent de mesures désignées somme « transparentes » et « positives » – car ne modifiant ni son cœur de métier ni son activité économique –, « la salle de cinéma peut envisager une réduction de son impact environnemental de 19,2 % d’ici 2030 », et de près de 45 % si on exclut le déplacement des spectateurs. Parmi ces mesures, celles visant à décarboner la mobilité des spectateurs comme des salariés, celles relatives à la dépense énergétique de la salle de cinéma et à la gestion bâtimentaire (éclairage, projection, labels, systèmes CVC i.e chauffage, ventilation, climatisation) ainsi qu’à la confiserie et à l’alimentation (livraisons, consignes, voire suppression des options carnées dans les offres restauration). Autant d’initiatives qui pourraient réduire les émissions carbone des cinémas de plus de 200 000 tCO2eq.

Mais pour aller plus loin, l’exploitation devra s’emparer de mesures « offensives » et « défensives », nécessitant notamment « une forme de renoncement à des opportunités offertes par la technologie », souligne le Shift Project. Le think tank se réfère particulièrement aux salles premium, auxquelles il faudrait renoncer – a minima en ce qui concerne les nouvelles salles – en faveur de dispositifs moins gourmands en énergie et en matières premières.

Adapter sa taille…

S’agissant de construction et de rénovation, des salles plus petites (limitées à 250 places) et mieux gradinées favoriseraient une régulation thermique moins énergivore. En ce qui concerne l’implantation territoriale, à défaut de pouvoir réutiliser des bâtiments déjà existants, les nouveaux cinémas ne devraient être créés que « sur des sols déjà artificialisés, toujours à proximité des publics et ayant une facilité d’accès en transports en commun ou modes actifs ». Dans la mesure de l’évolution de la mobilité globale des Français, le rapport préconise, en outre, de réduire « fortement » les places de parking disponibles pour les équipements accessibles par d’autres moyens que la voiture, voire « totalement » pour les plus accessibles. 

… et s’adapter à son territoire

Enfin, l’impératif de rapprocher les cinémas des populations nécessitera des sites de petite taille, peut-être modulaires (cinémas-théâtres-etc.) ou associatifs, « en tout cas avec de nouveaux modèles économiques ». Dans ce contexte, le développement du cinéma itinérant, qui permet de substituer le déplacement des spectateurs à celui d’une petite équipe et de son matériel, fait partie des solutions les plus durables pour l’accès des populations rurales à des séances de qualité. 

« Face à l’enjeu climatique, il ne faut rien s’interdire dans la réflexion », note Juliette Vigoureux. La consultante indépendante qui pilote le projet « Cinéma » du Shift Project, précise que l’étude n’est « pas là pour donner des réponses, mais pour poser des questions. Adopter une démarche de décarbonation implique de repenser en profondeur les salles de cinéma, et ce, parce que nous les aimons. Et se remettre en question, c’est déjà un premier grand pas ». 

Dossier complet à retrouver dans le Boxoffice Pro n°410 du 15 décembre 2021.

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