Cannes 2025 : Ouvrir le dialogue avec l’Acid

Pauline Ginot, déléguée générale de l'ACid, et Pamela Varela, cinéaste et membre du comité de la sélection cannoise 2025 © Laurie Bisceglia/Tentativa

L’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion propose, à partir d’aujourd’hui et comme chaque année à Cannes, une sélection de neuf longs métrages qu’elle accompagnera ensuite en salles. Favoriser la rencontre, entre les cinéastes, les diffuseurs et les publics, c’est la mission essentielle de l’Acid, comme en témoignent Pauline Ginot, déléguée générale, et Pamela Varela, cinéaste et membre du comité de la sélection cannoise 2025. 

Peut-on dire que la programmation de l’Acid Cannes 2025 reflète particulièrement l’état du monde ?

Pamela Varela : Nous étions 14 programmateurs très soudés cette année, mais sans avoir de ligne éditoriale imposée et sans se poser la question de la représentation de ce qui se passe dans le monde. Ce qui nous a guidés, c’est le cinéma. C’est ce qui nous intéresse à l’Acid : aller dénicher des regards singuliers, qui en cela s’interrogent aussi sur leur environnement. Forcément, quand la programmation est terminée, on se retrouve face à des histoires qui nous questionnent. On se rend compte que les films résonnent entre eux, et sont tous traversés, cette année, par la question du lien, du dialogue et de la bienveillance, qui peuvent avoir un impact sur le monde.  

Pauline Ginot : Cela nous rappelle que montrer des films contribue à ouvrir des espaces de dialogue, sur la liberté de création des cinéastes et avec les publics. Il n’y a pas de “film Acid” type, mais une intention affirmée d’interroger la façon dont les films se fabriquent, et de mettre en avant des modes de production différents, ce qui est déjà de la mise en scène. La fabrication du documentaire est, par exemple, au cœur de La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh, qui voulait faire un film avec sa mère alors qu’elle vient de mourir. L’Aventura de Sophie Letourneur est aussi exemplaire : c’est une façon différente, exigeante et extrêmement généreuse de faire fiction, en utilisant tous les outils du cinéma pour faire autre chose que “filmer un scénario”. 

Pamela Varela : Chaque film relève d’un esprit de recherche, y compris Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi [Fatma Hassona, la protagoniste du film, a été tuée par un tir de l’armée israélienne le lendemain de l’annonce de la programmation]. On ne l’a pas sélectionné parce qu’il parle de Gaza, mais parce qu’il instaure un dialogue de sororité entre deux femmes et questionne les conventions narratives avec des outils très restreints. Même si aujourd’hui, on est rattrapé par l’actualité qui change notre regard sur le film. Cela montre que les films sont constamment en mouvement, et on est très conscients au moment de la sélection que l’on va les accompagner pendant deux ans auprès du public.

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À l’heure où nous réalisons cet entretien, la plupart des films ont déjà un distributeur…

Pauline Ginot : L’Aventura et Laurent dans le vent avaient déjà un distributeur, Arizona pour les deux, au moment de la sélection. Les autres en ont trouvé après l’annonce de notre programmation : La Vie après Siham a été acheté par Météore, La Couleuvre noire par ARP Sélection, et Put Your Soul on Your Hand and Walk, qui est une production majoritairement française, par New Story. Ces films ont aussi récemment trouvé des vendeurs internationaux. Les distributeurs sont très attentifs à notre programmation et se positionnent souvent avant Cannes, où les choses vont très vite. Ils savent aussi, dans un contexte difficile pour les films de recherche, que l’Acid va les accompagner dans leur vie en salles : c’est une chaîne de solidarité entre cinéastes, mais aussi entre professionnels de la diffusion. 

Justement, quel est cet accompagnement des films en salles ?

Pauline Ginot : Il ne s’agit pas juste de faire une belle programmation mais d’ouvrir à la rencontre, physiquement dans les salles, et surtout sans jamais préjuger du regard des publics selon leurs origines “territoriales”. Si la sélection Acid Cannes est reprise à l’automne, dans plusieurs grandes villes et à l’étranger, nous avons plusieurs dispositifs de soutien tout au long de l’année, avec 250 salles partenaires, adaptés à leur situation locale. L’Acid Pop, qui concerne environ 8 films par an, sur 20 soutenus par l’association, a été pensé main dans la main avec les exploitants, avec des films pas trop longs – car précédés d’une masterclass et suivis d’un débat – pour ne pas être hors sol par rapport à la réalité des gens. En huit ans, l’Acid Pop est devenu un endroit où des cinéastes et des exploitants pensent ensemble leur métier, ce qui est finalement assez rare. Mais de façon générale, nous tenons à ce que chaque dispositif soit participatif et parte des envies du public.

C’est aussi le cas avec les jeunes ambassadeurs de l’Acid ?

Pauline Ginot : L’Acid travaille chaque année avec 150 jeunes ambassadeurs, dont 50 qui viennent à Cannes – sans compter 300 scolaires pour nos projections – et décernent leur Coup de cœur. Là encore, il ne faut pas préjuger de ce que les gens aiment selon leur âge, et nous sommes surpris de voir ce que ces jeunes apprécient. Nous leur facilitons l’accès aux projections cannoises et aux tables rondes, et organisons des rencontres avec les équipes de film – notamment Léo Couture cette année, compositeur de la musique de Laurent dans le vent. Ils pourront ensuite animer eux-mêmes des rencontres tout au long de l’année, ou proposer d’autres choses selon leurs envies, par exemple sur les réseaux sociaux. Toujours avec les jeunes, nous travaillons sur le Prix Acid-France Culture décerné par un jury de 1 700 étudiants. Et cette année, nous organisons une table-ronde avec le CNC, intitulée : “Cinéphiles et non-cinéphiles”, pour interroger la façon de ramener au cinéma ceux qui n’y vont pas. Ce sont les jeunes qui prennent la parole et les professionnels qui les écoutent, pour inverser le postulat habituel.

Pour vous Pamela, en tant que réalisatrice – récemment de L’Échappée belle, sorti le 19 mars –, comment vivez-vous l’accompagnement par vos pairs de l’Acid ? 

Pamela Varela : On ne connaît pas forcément les films des autres cinéastes de l’association ; c’est donc un moment de fébrilité quand des gens avec qui vous travaillez choisissent de soutenir votre film. En général, l’Acid intervient en 4e semaine, quand les entrées commencent à baisser. Nous sommes en train d’organiser des rencontres avec les cinéastes de l’Acid autour de mon film, et c’est très agréable qu’ils s’en s’emparent. Dans l’autre sens, accompagner un film qui n’est pas le sien, et ne ressemble pas aux siens, ouvre un dialogue extrêmement constructif, qui nourrit notre réflexion politique sur le cinéma indépendant. 

Cette réflexion politique s’exprime aussi au moment de Cannes. Quels seront les sujets abordés cette année, au-delà des films montrés ?

Pamela Varela : Défendre des films qui ne sont pas formatés, c’est déjà une démarche politique. Et dire qu’ils appartiennent à tout le monde est aussi une vision politique. Bien sûr, nous débattrons aussi des coupes de budget des collectivités et leurs conséquences concrètes, et de celles qui affectent le pass Culture : tout le système qui permet le maillage territorial est actuellement mis à mal. Or quand nous présentons nos films dans des cinémas ruraux, à 10 ou 30 personnes, c’est déjà énorme : les gens sont curieux, et il est essentiel d’avoir encore des lieux pour transmettre. 

Pauline Ginot : Une autre de nos tables-rondes au Café des cinéastes, “Filmer pendant la guerre”, rassemblera Sepideh Farsi et des cinéastes ukrainiens. Avec le GNCR, nous interrogerons la place des films de recherche en salles, ce qui est aussi une façon de parler indirectement de l’état du monde, en termes de construction critique.

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Au sujet des films Recherche, quel est votre avis sur la réforme art et essai ? Et sur le soutien à apporter aux distributeurs indépendants ?

Pauline Ginot : La politique de l’Acid est d’accompagner la prise de risque des distributeurs, notamment pour qu’ils puissent s’engager sur des films sans pré-achat, et celle des exploitants, pour qu’ils puissent maintenir la diversité sans mettre en péril leur structure économique. Dans la réforme art et essai, nous avons défendu la sur-pondération des films sortant sur moins de 80 copies : la prise de risque n’est pas la même qu’en programmant des films art et essai porteurs. Or il s’agit de la survie des talents de demain : comment Justine Triet, les frères Boukherma ou les frères Larrieu, qui ont été révélés à l’Acid, auraient émargé si leurs premiers films n’avaient pas été montrés ? 

Pamela Varela : Dans les commissions art et essai, nous avons constaté l’effondrement des séances Recherche, y compris dans les grandes villes, et ce sont toujours les mêmes films qui sont programmés dans 160 salles. Or les publics sont en demande, et l’on constate d’ailleurs que les mono-écrans des petites villes rurales sont souvent les plus dynamiques, forts d’une vraie relation de terrain avec leurs spectateurs. 

Pauline Ginot : Nous avons hâte de voir si cette réforme, la première ambitieuse depuis 20 ans, sera un levier pour favoriser la diffusion sur les territoires. Quant aux distributeurs, qui ont du mal sur les documentaires, ou les films indépendants américains, ils doivent avoir les moyens de leur donner de la visibilité. L’identification des films par le public est une question-clé, qui doit être prise en charge collectivement : on ne doit pas se contenter de la publicité au cinéma. C’est tout le secteur, pas seulement l’Acid ou les salles de Recherche, qui doit accompagner l’émergence de demain.  

Interview initialement publiée dans le Boxoffice Pro du 11 mai 2025

Pauline Ginot, déléguée générale de l'ACid, et Pamela Varela, cinéaste et membre du comité de la sélection cannoise 2025 © Laurie Bisceglia/Tentativa

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