Malgré les garanties du CNC sur la nature exceptionnelle des pouvoirs donnés à son président, le raccourcissement des délais de la chronologie des médias pour les films encore à l’affiche le 14 mars interpelle les professionnels de l’exploitation cinématographique.
« Cette proposition est très mal vécue par les salles », déclare Marie-Christine Désandré, gérante de Loft Cinémas et présidente du groupement des cinémas privés et indépendants Cineo. Si l’exploitante est consciente des difficultés rencontrées par tous les acteurs de la chaîne, elle regrette le manque de concertation de la part des autorités : « La chronologie des médias relève d’un accord bipartite : un texte de loi et des accords professionnels. Profiter d’une crise sans précédent pour revenir sur ce qui nous protège et fait partie de l’exception culturelle de notre pays, c’est malhabile, voire malhonnête. C’est bien la démonstration que notre activité reste fragile. Heureusement que nous avons le soutien du ministère du Travail, qui nous permet d’avoir un peu de sérénité. S’il y a bien un pays qui doit résister, c’est la France ! »
De son côté, le président de l’AFCAE François Aymé pondère les inquiétudes, rappelant que la dérogation ne concerne que les films à l’affiche au 14 mars, moment de la fermeture des salles. « C’est un sujet dont nous avons débattu au conseil d’administration. Nous soutenons l’idée d’une solidarité avec les distributeurs qui ont pris des risques et investi sur leurs sorties. » Mais si le représentant de l’association française des cinémas art et essai comprend la démarche, il n’en craint pas moins que cette « solution d’aide pour le court terme » ne crée un précédent. D’autant plus que la dérogation à la sortie VOD anticipée relève, pour le président de l’AFCAE, plus d’une mesure symbolique que d’une aide économique significative : « Dans un contexte d’offre en ligne pléthorique, où les gens regardent plus que jamais des séries sur les plateformes SVOD, le chiffre d’affaires de la VOD payante n’a jamais très fort. Les films porteurs peuvent y trouver un certain appui, mais pas une solution miracle. Quand aux films fragiles, ils sont face à un simple et grand danger d’invisibilité. Il ne suffit pas d’être accessible pour être regardé. »
Malgré l’inconnue de la durée du confinement, « probablement amenée à se prolonger », le président de l’AFCAE est confiant sur la volonté de ses confrères de préserver les films « dont la carrière a été fauchée. Quand nos cinémas rouvriront, nous serons prêts à les ressortir. » D’autant plus que, chacun à leur échelle, les films français comme étrangers (De Gaulle, La Bonne Épouse, Un fils…) affichaient des résultats tout à fait satisfaisants au moment de la fermeture des salles.
Fidèle au poste, l’Agence pour le développement régional est aussi en pleine réflexion sur la façon d’envisager la reprise. « Elle risque de redémarrer mollement », admet Eric Busidan. Pour le délégué général de l’agence, le recours anticipé à la VOD est certes une manière de palier « la perte sèche pour les distributeurs des films qui se sont arrêtés brutalement. Mais cette dérogation doit s’exprimer à travers une solidarité interprofessionnelle. » Ainsi, dans ce contexte de « force majeure », le délégué général de l’ADRC prône une logique de partage des revenus VOD avec les exploitants ou un fonds de solidarité.
L’Agence est par ailleurs en pleine consultation avec les distributeurs. Au moment de la reprise d’activité des salles, ces derniers pourront compter sur l’accompagnement de l’Agence, tant pour les films arrêtés – dont les plans de sortie pourraient être élargis pour compenser la perte – que pour les films à sortir – « dont nous étudions la possibilité d’appuyer le plan de sortie dès la première semaine, sur le calibrage habituel des films à moins de 400 copies. C’est notre rôle d’être là au bon moment. »
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