Amel Lacombe : « Garder l’ouverture d’esprit qu’apporte la distribution indépendante »

Les Enfants Loups, Ame & Yuki de Mamoru Hosoda figure parmi les plus gros succès d'Eurozoom avec 400 000 entrées cumulées.

Eurozoom souffle cette année ses 20 bougies, événement qu’il a partagé avec des acteurs de la profession lors d’une soirée festive le 17 mai à Cannes. L’occasion pour sa dirigeante et fondatrice Amel Lacombe de revenir sur l’évolution et l’avenir de la structure.

Quel regard portez-vous sur ces 20 années passées ?

Eurozoom a grandi et évolué avec le marché. Ce dernier s’est considérablement réduit avec des titres Art et Essai qui faisaient 10 voire 20 000 entrées à une époque et végètent aujourd’hui sous les 2 000 tickets. D’autant que les grands cinéastes de l’Art et Essai porteur sont davantage dans des logiques commerciales avec des investissements très élevés. Donc soit nous restions dans l’idée de sortir des films de niche, soit nous tentions de travailler sur des cibles et une cinématographie différentes. C’est pourquoi nous avons pris un virage culture pop il y a 15 ans, en axant notre action sur la distribution de films d’animation japonaise méconnus en France, un marché qui regroupait à l’époque seulement les sorties des studios Ghibli. Nous avons aussi conservé une cinématographie plus classique avec par exemple des films latinos, à l’instar récemment de Retour de flamme de Juan Vera. Garder cette ouverture d’esprit qu’apporte la distribution indépendante et ne pas être cantonné à un seul genre est essentiel.

Vous vous êtes imposés comme le premier distributeur de l’animation japonaise en France, avec 37 longs métrages distribués en salle et un total de 50 films d’animation. Quel a été le cheminement ?

C’est le fruit d’une rencontre et d’une volonté stratégique. J’ai analysé le marché et perçu l’animation japonaise comme un moyen de toucher un nouveau marché et faire venir les jeunes en salles. Les débuts ont été difficiles puisque pour beaucoup, ce genre était surtout fait pour la télévision. Nous avions aussi constaté que contrairement à l’animation familiale ou jeunesse conséquente en France, l’animation adulte, hormis avec Persepolis et Valse avec Bachir était peu exploitée en salle. Nous nous sommes également engagés dans cette voie-là. Notre travail a fini par payer et nous avons contribué à créer un véritable marché en France. Les films se sont mis à faire des entrées significatives et le Japon a proposé plus largement ses films. Avec une audience élargie, plus d’acheteurs se sont manifestés et les prix ont grimpé. Ce qui est compliqué financièrement pour une structure comme Eurozoom, que je possède à 100 %, qui ne peut sortir qu’une dizaine de films par an. Mais les gens reconnaissent notre travail et souhaitent collaborer avec nous. De notre côté, nous ne considérons pas le film d’animation comme une sous-catégorie, mais comme un film de cinéma à part entière. C’est une autre façon de raconter une histoire, que nous vendons comme un film et c’est aussi important que les salles la perçoivent ainsi.

Si vous ne deviez retenir qu’une chose de ces 20 années ?

Il y a eu de nombreuses rencontres exceptionnelles avec des réalisateurs légendaires. Mais je retiens surtout l’accompagnement. Nous avons énormément travaillé sur des premiers films, avec une attention particulière sur la promotion. Eurozoom est attaché à la politique des auteurs, une conception bien française du cinéma. Découvrir un cinéaste, parfois depuis l’écriture, et le suivre sur ses films suivants est toujours enrichissant même si cela devient de plus en plus difficile dès que ses œuvres font des entrées. Nous avons une vraie fidélité aux auteurs. Personnellement, je préfère acheter un film peut-être imparfait d’un auteur “maison” à qui on reste fidèle plutôt qu’un film plus porteur d’un auteur avec qui nous n’avons jamais travaillé. Pour nous, grandir avec le cinéaste et son film fait partie du travail.

Vous avez aussi conservé une relation particulière avec les salles…

Dès le début, UGC nous a soutenus dans notre volonté de sortir au cinéma des films d’animation japonaise. Même s’il y avait la critique de “films pour la télévision”, nous avons toujours voulu jouer le jeu de la sortie salle. Progressivement, le mouvement s’est amplifié et a touché tous les circuits mais aussi les indépendants, qui sont très importants pour nous. C’est notre volonté de pouvoir continuer à travailler en harmonie aussi bien avec les circuits que les indépendants et je pense que c’est le rôle de chaque distributeur. Le seul petit bémol concerne la programmation à Paris. J’aimerais que les exploitants parisiens aient le courage de prendre un film différent en début de semaine plutôt que l’énième copie d’un film porteur. Je suis contre la multiplication des copies à Paris qui laisse sur le carreau de nombreux films, qui mériteraient pourtant de rencontrer leur public. 

Comment voyez-vous l’avenir d’Eurozoom ?

À court terme, il y a le Festival d’Annecy où nous avons 5 films sélectionnés : 3 en compétition (Buñuel après l’âge d’or, Les Enfants de la mer et The Relative Worlds) et 2 en séances spéciales (Promare et Spycies). C’est la récompense de notre travail. Un festival joue forcément sur la notoriété et la programmation d’un film, d’animation ou non. Mais nous avons aussi démontré que nous étions capable d’orchestrer des sorties sans sélection. 

Par la suite, il est pour nous essentiel de capitaliser sur l’animation, avec l’objectif de rester le premier distributeur d’animation japonaise. Les enjeux changent complètement, le contexte de la distribution indépendante est difficile avec une part de marché des distributeurs et des films indépendants qui se réduit. La distribution indépendante est une économie de prototypes et chaque sortie est très risquée. Ce qui me perturbe le plus aujourd’hui, c’est le manque général de bienveillance : avant, il y avait un certain respect de la programmation et du travail d’autrui. Il y a toujours eu des concurrents mais je ressens aujourd’hui une sorte d’énervement collectif… Mais nous restons confiants grâce au soutien que l’on reçoit. Les gens savent que nous ne sortons pas un film pour faire des profits. 20 ans sans interruption, c’est aussi un signe fort pour une structure indépendante qui a toujours honoré ses engagements, aussi bien au niveau des fournisseurs que des salles ou des ayant-droits, sans planter personne. Je fais du cinéma, Eurozoom fait du cinéma, pour défendre des choses qui nous tiennent à cœur.

Les Enfants Loups, Ame & Yuki de Mamoru Hosoda figure parmi les plus gros succès d'Eurozoom avec 400 000 entrées cumulées.

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