Allah n’est pas obligé, un classique de la littérature sur la route du grand écran

De mésaventures en mésaventures, Birahima navigue entre les milices, participe à des exactions... © Special Touch Studios

Prix Goncourt des Lycéens et Renaudot en 2000, le récit picaresque et sanglant d’Ahmadou Kourouma va jouir d’une adaptation animée au cinéma. À l’occasion d’un work in progress au dernier Festival d’Annecy, le réalisateur Zaven Najjar et le producteur Sébastien Onomo sont revenus sur l’itinéraire de ce projet, dont les jalons de distribution sont déjà étudiés par Bac Films.

C’est un tableau horrifique, pour autant drolatique, d’une Afrique jalonnée par des activités criminelles et des massacres de populations civiles. Birahima fait partie de ces orphelins du berceau de l’humanité, devenus enfants-soldats au gré du destin, dont la vie est balisée par ces exactions, du Liberia à la Sierra Leone. « La lecture d’Allah n’est pas obligé, quand j’étais étudiant en lettres à la Sorbonne, m’a profondément marqué, narre Sébastien Onomo, devenu depuis producteur et président de la société Special Touch Studios. Ce roman m’est resté dans la tête, avec l’idée d’en faire quelque chose. Par la suite, j’ai rencontré Zaven Najjar, qui était directeur artistique de La Sirène de Sepideh Farsi (2022), que nous produisions. J’ai vu en lui un réalisateur, et je lui ai proposé de lire le roman. » La démarche est d’autant plus naturelle que Zaven Najjar a déjà réalisé un court métrage intitulé Un obus partout, qui dépeint un Beyrouth meurtri par la Guerre du Liban. « Ma famille m’a souvent parlé de ce conflit et des mécanismes qui le régissent, avec un ton très ironique, voire déconneur », se souvient le réalisateur, qui s’appuie sur son histoire personnelle pour approcher au mieux son nouveau sujet.

Ses voyages en Afrique, où il mène un scrupuleux travail de recherche en photographiant les lieux et en allant à la rencontre de vétérans libériens et sierra-léonais, lui permettent progressivement de construire « une banque de références graphiques » et « d’opter pour des partis pris », tout en restant « fidèle à l’histoire ». La scénariste Karine Winczura rejoint l’écriture, avec l’intention de mettre Birahima au centre de l’action, « notamment à l’aide d’une voix-off qui vient réagir aux événements de manière insolente, mais attachante », à l’image du livre. 

La machine se met réellement en branle en avril 2022, avec le lancement officiel de la production d’Allah n’est pas obligé, qui rassemble huit studios du monde entier, de la France (TNZPV, AMOPIX, ACFX, Gao Shan), à la Slovaquie (Blue faces), en passant par la Belgique (Lunamine Bvba, Need Productions) et le Luxembourg (La Fabrique). « Le défi est de transmettre et perpétuer l’univers visuel tout au long de la chaîne de production, surtout sur la synchronisation et la compatibilité des fichiers », expliquent, de concert, Sébastien Onomo et Yukiko Meignien, assistante réalisatrice.

© Special Touch Studios

« Ce n’est pas pour les enfants »

Alors que le projet est actuellement dans sa phase de layout, d’animation des plans et d’enregistrement des voix, Bac Films s’active déjà sur la stratégie de distribution, tout en accompagnant la production. « Les processus en animation sont très longs, entre la création du teaser, l’animatique, la post-production… Nous suivons donc la fabrication de manière régulière, en nous déplaçant par exemple aux présentations des work in progress, comme à Třeboň en République tchèque, il y a quatre ans », détaille Alexis Hofmann, directeur des acquisitions chez Bac. La relation privilégiée qu’il entretient avec Sébastien Onomo et Zaven Najjar, avec qui il a déjà œuvré sur La Sirène, sert de base à un échange constant quant à la direction : « J’avais lu le roman il y a plusieurs années, et quand j’ai appris qu’ils développaient une adaptation animée, j’ai trouvé le projet très cohérent», complète Alexis Hofmann, d’autant plus convaincu par la lecture du traitement, puis de la version dialoguée. 

L’implication est telle que le distributeur est sollicité pour valider certaines lignes de dialogue, « pour les rendre compréhensibles auprès d’un public occidental », tout en conservant l’authenticité de l’œuvre. Des dialogues qui sont, par ailleurs, caractérisés par leur violence, leur grossièreté, parfois leur cruauté, à l’image de certaines scènes : « Ce n’est pas pour les enfants », met en garde Sébastien Onomo, arguant que les cibles sont davantage « les lycéens et les étudiants », soit le public du livre. Cette typologie de films d’animation destinés au 15-25 ans et aux adultes laisse présumer un parcours bien rodé, à savoir un passage par Annecy et des festivals de catégorie A (Cannes, Berlin ou Venise), un soutien de l’Afcae et un relais dans des médias prescripteurs. « Le Monde, Télérama ou France Inter sont des titres qui sauront dépasser le fait que c’est un film d’animation, procédé pour narrer une histoire et non pas un genre en soi. Nous pourrons également nous appuyer sur des associations comme la Ligue des droits de l’Homme, la Fédération internationale pour les droits humains ou Reporters sans frontières », détaille le directeur des acquisitions chez Bac, convaincu qu’un travail scolaire d’ampleur auprès des lycéens peut être mené.  

Pour l’heure, producteurs comme distributeurs espèrent voir le film achevé pour le Festival d’Annecy, soit au printemps 2025. D’ici cette échéance, Bac Films sortira, côté animation, Niko le petit renne, mis­sion Père Noël le 4 décembre. Yakari 2 et Inspecteur Croquettes, le premier film long-métrage animé de Benoît Delépine, sont, eux, en cours de production. Enfin, le distributeur accompagne Happy End de Marie Amachoukeli et Vladimir Mavounia-Kouka, produit par Miyu Productions, ainsi que 1984 chez Autour de Minuit, adapté du roman graphique de Xavier Coste, lui-même tiré du classique de George Orwell.

Synopsis : Birahima, orphelin guinéen d’une dizaine d’année, subit l’influence de Yacouba, un garçon fasciné par l’univers des enfants soldats du NPFL (National Patriotic Front of Liberia) associés au rebelle Charles Taylor, héros de la guerre civile qui frappera la région durant huit ans. Sous les auspices du Colonel « Papa Le Bon », le pré-adolescent apprend la vie de garnison, la propagande, les cérémonies religieuses, la drogue, le maniement des armes, et devient ami avec d’autres enfants-soldats. De mésaventures en mésaventures, Birahima navigue entre les milices, participe à des exactions.

De mésaventures en mésaventures, Birahima navigue entre les milices, participe à des exactions... © Special Touch Studios