À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions et mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Aujourd’hui, retour en chiffres avec Éric Marti, directeur général de Comscore France.
Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025
« Chaque matin, même si certains sont gris, nous apporte la certitude de l’attachement du public au cinéma »
Éric Marti, directeur général de Comscore France
2005, cela fait plus de dix ans que la France « se couvre d’un tapis de cathédrales » dédiées au cinéma, les multiplexes. Depuis 1993 et l’ouverture du premier cinéma de ce genre nouveau en périphérie de Toulon, la fréquentation cinématographique a stoppé son inexorable déclin dans un retournement de tendance spectaculaire, passant de 116 millions d’entrées annuelles en 1992 à 165,8 au passage à l’an 2000.
Guy Verrecchia, un des plus prestigieux cardinaux de l’exploitation, a annoncé à la fin du siècle dernier que la fréquentation pourrait dépasser les 200 millions d’entrées annuelles. La profession a reçu cette prophétie autant avec espoir qu’avec la crainte d’une ambition trop haute. Pourtant, avec ces nouveaux paquebots, une formule d’abonnement “illimitée” en avance sur son temps, moult Fêtes et Printemps du cinéma, opérations Cinéstival ou CinéCool, et des festivals aussi divers que variés aux quatre coins du pays, cette barre a été franchie en 2009 avec 201,6 millions d’entrées, annonçant une décennie prodigieuse.
Cette dynamique nouvelle et nationale a inévitablement modifié les équilibres traditionnels. Le rôle prescripteur et directeur de la capitale s’est ainsi peu à peu érodé, la part de marché de Paris intra-muros reculant progressivement de 19,2 % en 1996 à 15,8 % en 2005, puis 13,4 % en 2010 et 11,7 % en 2015. Elle était encore supérieure à 10 % en 2019 (10,6 %), mais est passée sous ce seuil en 2023 pour s’établir en 2024 à 9,6 %. Cette évolution rendait indispensable une mesure nationale plutôt qu’une observation uniquement parisienne. Dès 1999, des précurseurs lançaient des outils comme Cinézap et CBO/Box-Office dont l’ambition était de suivre la fréquentation sur la France entière. La collecte et le partage des données de fréquentation sont aujourd’hui devenus nationaux et quotidiens, mais toujours sous le prisme unique des “entrées”, plutôt qu’en recettes comme dans le reste du monde, nous rappelant chaque matin la réalité de “l’exception culturelle française”.
Parallèlement, le spectacle cinématographique a connu en 2009 un essor avec Avatar et l’avènement de la 3D, qui a relancé la course à l’armement technologique, d’écrans blancs ou argentés aux lunettes actives ou non, annonçant l’heure de la numérisation des salles.
Les vingt années, de 2005 à 2025, ont ainsi été jalonnées par des succès publics impressionnants : trois films figurent parmi les six plus grands succès historiques du cinéma en France : Bienvenue chez les Ch’tis (20,45 millions d’entrées en 2008), Intouchables (19,53 millions en 2011) et Avatar (15,34 millions en 2009). Il convient d’ajouter Avatar, la voie de l’eau (13,91 millions en 2022), Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (12,36 millions en 2014), Un p’tit truc en plus (10,72 millions en 2024), Star Wars : Épisode 7, Le Réveil de la Force (10,35 millions en 2015), Les Bronzés 3, amis pour la vie (10,23 millions en 2006) et Le Roi Lion (10,02 millions en 2019), soit neuf films au-delà des 10 millions d’entrées, et plus d’un quart des 33 plus grands succès publics depuis 1945. Ces résultats remarquables se sont également traduits par des records en termes de fréquentation annuelle qui, à trois reprises, aura été supérieure à 210 millions d’entrées, en 2011 (217,2 millions millions), 2016 (213,2 millions) et 2019 (213,2 millions).
La crise sanitaire a signifié un arrêt brutal de cette success-story, avec la fermeture sans appel et pour de longs mois de tous les cinémas en France. Cela a donné du crédit aux pires scénarios et aux visions toujours plus sombres : « écran noir, fin de partie, dernière séance »… Le retour de la lumière était impossible et les prophètes, éditorialistes ou boursiers, nous promettaient une mort certaine. Trois ans après, les cinémas sont toujours ouverts et l’année 2024 a vu trois films y rassembler chacun plus de huit millions de spectateurs. Plus souterrain, mais essentiel, les exploitants, indépendants comme circuits, n’ont cessé d’investir dans leurs établissements pour les moderniser, assurer des conditions d’accueil et de projection toujours meilleures pour les spectateurs. Les annonces récentes d’alliances majeures pour les deux leaders historiques du marché français renforcent encore la conviction que le cinéma est une industrie en développement. Écrans, sièges, son, air conditionné, accueil, services, que ce soit la réservation en ligne ou la restauration, l’industrie innove, cherche, propose. Après le passage au numérique, voici venu le temps du premium, sous toutes ses formes : Imax, Dolby, Ice, 4DX, Oma, Sphéra… les formats et « expériences » se multiplient.
Les résultats sont là, ces formules emportent une adhésion croissante du public, si tant est que l’offre de films originaux sait l’accompagner. Au-delà des chiffres, ce sont encore les spectateurs qui en parlent le mieux, comme ce témoignage recueilli par notre enquête Post Trak, en sortie de salle « Club » à Londres : « Le cinéma aujourd’hui c’est comme à la maison, avec tout le confort y compris un bon verre de Chablis, mais toujours en mieux, en plus grand ! » La vie en plus grand, voici une promesse qui tient encore, même les nouveaux maîtres du numérique en conviennent désormais.
Que faut-il attendre pour demain ? Du côté de l’offre des cinémas, une adaptation toujours plus fine aux attentes des publics, avec une place croissante pour les événements, quitte à vaincre l’Everest avec l’aide des “youtubeurs”, un souci d’efficacité énergétique et de maîtrise de l’empreinte carbone, mais toujours avec l’esprit tourné vers le plaisir partagé, la découverte, le frisson et l’émerveillement.
De notre côté, humblement, au service des distributeurs et exploitants, nous continuerons d’apporter chaque jour, chaque heure, les données les plus complètes mais aussi les plus détaillées, les plus fines, les plus fiables. Nos services couvrent aujourd’hui plus de 97 % de la fréquentation hebdomadaire, 98 % à 99 % de celle des films les plus attendus, qu’il s’agisse de titres de pur divertissement ou bien art et essai. Nous proposons à nos partenaires d’aller plus loin : résultats heure par heure, préventes, recettes, par écran, format, version, séance… avec le souci constant d’en préserver la lisibilité afin que les chiffres aient toujours un sens.
Nous développons dans différents pays de nouveaux outils pour une meilleure connaissance du public, pour des évaluations de date de sortie et des projections de recettes, des comparatifs dopés à l’IA… mais aussi, ici en France, nous proposons dès aujourd’hui une plateforme nouvelle, dédiée au suivi au plus près de l’activité des films et cinémas art et essai, ce terreau fertile d’où jaillissent toujours les grands noms de demain. À l’heure où j’écris ces mots, au terme de la plus mauvaise semaine depuis 2007 et dans la perspective d’une fréquentation annuelle proche de celle de l’an 2000, chaque matin, même si certains sont gris, nous apporte la certitude de l’attachement du public au cinéma.
Et si la prochaine frontière, « l’inaccessible étoile » des vingt années à venir, n’était pas d’atteindre à nouveau deux cents millions d’entrées annuelles, mais de réaliser deux milliards d’euros au box-office ?
Éric Marti
Fréquentation annuelle 1980 – 2024 (en millions d’entrées) :



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