À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions et mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Focus aujourd’hui sur les changements qui ont touché la billetterie cinéma.
Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025
« Ce qui prime en matière de vente de billets, c’est le désir du spectateur de voir un film »
Jean-Marie Dura, consultant NXNW Management & Conseils
Des promesses inabouties de la tarification dynamique à l’ancrage de la vente à distance, Jean-Marie Dura revient sur les nouvelles pratiques de billetterie, où l’innovation technique doit se conjuguer avec le sens de l’accueil.
Innover, entre audace et pragmatisme
Auteur, en 2016, d’un rapport sur “la salle de cinéma de demain” pour le CNC, Jean-Marie Dura a l’habitude de projeter l’avenir : « Pour évoluer, il faut toujours regarder ce qui se fait à l’extérieur de nos frontières et de notre secteur. » L’exemple le plus marquant de cette inspiration exogène demeure celui de la carte illimitée, inventée par Virgin Cinemas au Royaume-Uni et à l’introduction française de laquelle l’intéressé, alors directeur général adjoint en charge de l’exploitation chez UGC, a participé au tout début des années 2000. Une initiative qui, à l’époque, a suscité « autant d’enthousiasme que de rejet », illustrant sa conviction qu’il ne faut pas « fétichiser l’innovation »… ni craindre l’expérimentation, « comme dans la célèbre formule de Samuel Beckett : “Try, try again, try better, fail again, try better, fail better”. »*
Le mirage du dynamic pricing
Parmi les autres pistes explorées ces dernières années, la tarification dynamique n’aura finalement pas, semble-t-il, trouvé sa place au cinéma. « Elle a pourtant longtemps été présentée comme le graal de la billetterie », note Jean-Marie Dura, en rappelant l’expérience d’EasyCinema, filiale d’EasyJet, qui avait racheté un multiplexe en Angleterre au début des années 2000 et tenté d’y appliquer les recettes du low-cost aérien, dont son principe de prix variables selon la demande. « Le yield management, on en a parlé pendant des années à travers le monde, mais à ma connaissance, la pratique n’a vraiment pris nulle part. » Et pour cause : en matière de cinéma, quels que soient les débats autour des prix de la place, « ce qui prime, c’est le désir du spectateur de voir un film. Et le spectateur qui veut absolument découvrir un titre ne va pas attendre une variation de tarif ».
La révolution digitale
Si l’avènement de la carte illimitée ne constitue finalement qu’une « nouvelle manière de fréquenter la salle », la vraie rupture viendra de la billetterie en ligne. Dans le sillage du credo « No mobile, no business » qui se diffuse à partir du début des années 2010 avec l’essor du smartphone et du e-commerce, les cinémas « affranchissent leurs “parcours-client” du passage en caisse ». En France, le mouvement, initié dès 2011 par les e-billets des Cinémas Gaumont Pathé, s’imposera progressivement dans l’ensemble du secteur, trouvant un nouvel élan avec la crise du Covid. « La vente digitale s’est d’autant plus ancrée dans la pratique des exploitants qu’elle a été massivement adoptée par les spectateurs… et qu’elle permet – dans le strict respect du RGPD – de récupérer leur données afin de leur adresser une communication plus fine et moins coûteuse. » À condition toutefois, prévient Jean-Marie Dura, « de ne pas les enfermer dans un silo ».
Préserver la dimension humaine
Pour Jean-Marie Dura, la vente à distance est avant tout un enjeu d’accès à l’information, sur les films, les séances… « et la possibilité de prendre sa place le plus vite et simplement possible ». Mais elle ne doit pas faire oublier l’essentiel : « Nous faisons un métier de service et de contact. On a beau avoir les meilleurs sites web, les meilleures applications, les meilleurs projecteurs… il n’y a pas meilleure expérience premium que celle d’un accueil chaleureux, par une équipe professionnelle et attentive. » La digitalisation de la caisse demeure toutefois une des plus grandes évolutions du secteur au cours de ces 15 dernières années. « Quel progrès entre les chaussettes dans lesquelles nous devions garder les talons de tickets manuels, à conserver plusieurs années, et le site Cinedi que le CNC a lancé en 2008 ! », s’émerveille Jean-Marie Dura, en rendant hommage aux exploitants « qui ont su embrasser ces nouveaux outils, tout en préservant la nature profondément humaine de leur métier ».
* La citation de l’écrivain irlandais Samuel Beckett, tirée de sa nouvelle Cap au pire (1983), est communément traduite en français par « Essaie. Échoue. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux ».


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