À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Focus sur les évolutions en matière d’accessibilité avec Catherine Morhange, présidente de Culture Relax.
Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025
« L’intérêt et l’engagement des salles pour l’accessibilité est palpable »
Catherine Morhange, cofondatrice et présidente de Culture Relax (ex Ciné-ma différence)
Que leur handicap soit moteur, sensoriel, intellectuel, cognitif, psychique, les spectateurs en situation de handicap doivent encore trop souvent choisir un film en fonction de l’accessibilité de la salle ou de la séance. Nous sommes encore loin d’une accessibilité totale dans toutes les salles de cinéma, à toutes les séances, pour tous les publics en situation de handicap, mais que de chemin parcouru en 20 ans !
Une épreuve « humiliante »
En 2005, aller au cinéma avec une personne dont le handicap entraîne des comportements sociaux “hors normes” (personne autiste, polyhandicapée, avec un handicap intellectuel, psychique, une maladie d’Alzheimer) était rare et frisait l’héroïsme. Au premier comportement inhabituel, les regards apitoyés ou agressifs, puis les réflexions désagréables avaient raison des efforts des familles qui s’étaient risquées dans une salle de cinéma avec leur enfant petit ou adulte, ou leur parent âgé… Ce qui devait être un plaisir partagé était devenu une épreuve humiliante, scellant la fin de toute tentative de sortie culturelle.
Ciné-ma différence, devenu depuis Culture Relax, est né de la volonté de lutter contre cette exclusion de fait et de rendre un accès aux loisirs culturels à ces personnes qui en sont trop souvent privées. Le constat était que ce qui dissuade les familles d’aller au cinéma avec leur proche en situation de handicap, c’est la crainte d’un comportement hors norme de celui-ci et de la réprobation du public. La réponse de Culture Relax a été de créer un dispositif qui rende accessible des séances ordinaires du cinéma avec leur public habituel, pour que les spectateurs en situation de handicap et leur famille s’y sentent légitimes et à l’aise parmi les autres spectateurs. Son premier slogan proposait donc un pas de côté : « À cette séance, la norme c’est nous ! »
Si ce slogan visait à rassurer les familles concernées, il était parfaitement clair pour les fondateurs du dispositif que les séances Relax avaient aussi vocation à montrer au grand public que le partage de la salle était possible. Le terme “inclusion” n’était pas encore très usité, mais Culture Relax revendiquait dès le départ la nécessité de l’accès de tous aux propositions culturelles de droit commun et de la sensibilisation concrète du grand public à ce partage de la salle de cinéma.
La première séance Relax a eu lieu en mars 2005 à Paris ; saluons Pierre-Nicolas Combe, alors directeur de l’Entrepôt (Paris 14e) qui, le premier, a ouvert la porte de sa salle à ce qui apparaissait alors comme une expérience risquée, avec des gens “bizarres” ! En 2005, et longtemps encore, la crainte d’un certain nombre d’exploitants était palpable : peur que ce soit compliqué, peur de faire fuir son public habituel, peur de baisser le niveau de sa programmation à cause d’un public supposé ne pas comprendre grand-chose… Sur cette question, il est important de rappeler que l’accès à une œuvre n’est pas qu’un accès intellectuel ; il existe aussi une accessibilité sensible et esthétique et, dans ce domaine, le public en situation de handicap est loin d’être le plus handicapé. Au contraire, ce public fait preuve d’une grande sensibilité à la qualité des œuvres présentées, avec beaucoup moins d’a priori que bien des spectateurs valides…

Le tournant de 2015
Il y a 10 ans, soit aux 10 ans de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, un tournant s’est produit. L’accessibilité des ERP était au cœur du bilan anniversaire de la loi. Un grand nombre de salles avaient travaillé sur l’accessibilité de leur bâti et commencé à se tourner vers des solutions d’accessibilité sensorielle, tandis qu’en parallèle, le passage au numérique et une politique plus volontariste permettaient la multiplication des sorties de films en audiodescription (AD) et en version pour sourds et malentendants (SME) – en 2005, un film seulement était sorti en version AD/SME ; en 2024, on a pu comptabiliser 318 films SME, dont 293 ont aussi une version AD, d’après le CNC. S’est alors posée la question du public : les exploitants qui avaient consenti des efforts importants pour l’accessibilité de leur salle se rendaient compte qu’une salle/une projection accessible ne suffisaient pas : encore fallait-il que le public concerné le sache, que l’ensemble de la chaîne d’accessibilité lui permette de venir, qu’il se sente accueilli et rassuré. Cela demandait un tout autre travail autour de la communication et de l’accueil. Cette prise de conscience sur les besoins accompagnant l’accessibilité en général a rencontré la prise de conscience croissante des salles, ainsi que des collectivités locales, que le public/les citoyens en situation de handicap intellectuel, cognitif, psychique, étaient oubliés des politiques d’accessibilité culturelle et que les solutions techniques ne s’adaptaient pas à leurs besoins. Culture Relax qui, depuis 10 ans, travaillait à des réponses plus humaines que techniques, a alors commencé à être beaucoup plus audible, et le réseau Ciné Relax, qui développe le dispositif Relax au cinéma, a pris son envol.
En 2025, pour ses 20 ans, le réseau Ciné Relax regroupe une centaine de salles dans toute la France, illustrant dans les petits bourgs comme dans les grandes villes la diversité du panorama des cinémas français : grands réseaux, cinémas privés, cinémas municipaux, cinémas associatifs. L’intérêt et l’engagement des salles pour l’accessibilité est palpable. En témoigne le très bel écho reçu par notre opération “Tous ensemble au cinéma” qui va être le plus grand événement “handi-accueillant” dans les salles de cinéma à ce jour. Voilà qui semble de bon augure pour les 20 prochaines années !
Catherine Morhange


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